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La Libye est-elle un partenaire fiable ?



L’Italie se tourne vers son voisin d’outre-Méditerranée afin de diversifier ses approvisionnements en pétrole et gaz. L’accord trouvé par Eni laisse sceptique, devant l’instabilité politique et économique de la Libye.

De sa visite en Libye, fin janvier 2023, la Première ministre italienne Giorgia Meloni n’est pas revenue les mains vides. Au cours de son voyage, la major pétrolière italienne Eni et la National Oil Corporation (NOC) libyenne ont signé un accord de production de gaz de 8 milliards de dollars visant à stimuler l’approvisionnement en gaz de l’Europe.

L’Algérie semble un partenaire fiable pour l’Italie aux niveaux actuels (environ 24 milliards de mètres cubes par an) et on ne peut compter sur la Libye pour exporter plus de 3 milliards de mètres cubes par an.

Cet accord est considéré comme le plus gros investissement dans le secteur de l’énergie en Libye depuis un quart de siècle. C’est aussi le signe que l’Italie joue un rôle de premier plan dans l’extraction du gaz en Afrique du Nord, alors que l’Europe s’efforce de trouver des alternatives à l’énergie russe. Toutefois, dix ans après qu’un soulèvement soutenu par l’OTAN a chassé et tué le dictateur Mouammar Kadhafi, la Libye est toujours plongée dans le chaos et les analystes estiment que ce pays n’est pas un partenaire énergétique fiable. Avant même que Giorgia Meloni n’ait quitté le pays, le ministre du Pétrole, Mohamed Oun, avait qualifié d’« illégal » l’accord historique sur le gaz…

Si tout se passe comme prévu, l’accord conclu par ENI augmentera la production de gaz pour le marché intérieur libyen et les exportations vers l’Europe, en grande partie grâce au développement de deux champs gaziers offshore. La société italienne a indiqué que la production débutera en 2026 et atteindra un plateau de 750 millions de pieds cubes par jour. « Cet accord permettra d’importants investissements dans le secteur énergétique libyen, contribuant au développement local et à la création d’emplois tout en renforçant le rôle d’Eni en tant qu’opérateur de premier plan dans le pays », commente le directeur général Claudio Descalzi.

La Première ministre italienne, Georgia Meloni et Abdelhamid Dbeibah, chef du gouvernement d’unité nationale, à Tripoli le 28 janvier 2023 (photo : AFP).La Première ministre italienne, Georgia Meloni et Abdelhamid Dbeibah, chef du gouvernement d’unité nationale, à Tripoli le 28 janvier 2023 (photo : AFP).

Giorgia Meloni, qui est le premier haut responsable européen à se rendre en Libye depuis que le pays n’a pas réussi à organiser des élections vitales en décembre 2021, a qualifié l’accord de « grand et historique ». L’accord s’appuie sur un partenariat pétrolier et gazier préexistant entre les deux pays, soutenu par le gazoduc GreenStream, qui relie les champs gaziers de l’ouest de la Libye à l’île de Sicile et peut transporter 11 milliards de mètres cubes de gaz par an. Le gazoduc a été ouvert en 2004, mais l’approvisionnement a chuté depuis que la Libye a sombré dans le chaos il y a dix ans.

Depuis lors, l’Algérie – que Giorgia Meloni a visitée avant Tripoli –, a dépassé la Libye en tant que principal partenaire énergétique de l’Italie en Afrique du Nord et premier fournisseur de gaz. L’Italie mise également sur les importations de gaz naturel en provenance d’Égypte, d’Angola, de la République du Congo et du Mozambique.

Trouver des alternatives au gaz russe

Les efforts visant à diversifier l’approvisionnement en gaz se sont intensifiés après le début de la guerre en Ukraine, qui a déclenché une ruée vers des alternatives à l’énergie russe. L’Italie, autrefois fortement dépendante des hydrocarbures russes, a réduit ses importations de gaz russe de deux tiers pour les ramener à environ 11 milliards de mètres cubes par an et prévoit d’éliminer le gaz russe de son bouquet énergétique d’ici 2024.

L’Algérie, qui a une capacité de plus de 36 milliards de mètres cubes, selon Claudio Descalzi, en a remplacé une partie importante. Eni espère que l’augmentation des exportations de la Libye pourra également aider.

D’un point de vue plus stratégique, Rome a également un rôle à jouer en tant que lien entre les producteurs de gaz nord-africains et l’Europe du Nord, en s’appuyant sur des relations solides dans la région, et espère construire un corridor énergétique vers l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. Dans une déclaration d’intention lors d’une table ronde à Tripoli, Giorgia Meloni a déclaré que si l’Italie souhaitait étendre son profil dans la région, elle ne cherchait pas à jouer un rôle « prédateur », mais souhaitait au contraire aider les nations africaines à « se développer et à s’enrichir ».

Ce message pourrait trouver un écho auprès des gouvernements africains qui n’apprécient pas les attaques des activistes climatiques et les demandes des responsables occidentaux de réduire les émissions alors que 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité. Les pays riches en énergie comme l’Ouganda affirment qu’ils ne peuvent pas se développer sans l’extraction de leurs ressources.

Le désir de remplacer le gaz russe est si fort que les investissements délaissent les projets traditionnels d’extraction de brut en Afrique au profit du développement du gaz, en particulier les projets de gaz naturel liquide (GNL) en mer, que certains considèrent comme moins vulnérables aux risques de sécurité. Les grandes compagnies pétrolières, dont ExxonMobil, Eni, Shell et Chevron, ont fermé des projets traditionnels au Nigeria, en Angola et en Guinée équatoriale l’année dernière. Pendant ce temps, les investissements pétroliers affluent dans les pays riches en gaz, notamment le Mozambique, la Tanzanie, la Mauritanie et le Sénégal, dans l’espoir qu’ils puissent combler les déficits européens.

Un simple effet d’annonce ?

La Libye pourrait, elle aussi, bénéficier de ce changement. Cependant, les analystes ont rapidement jeté de l’eau froide sur l’importance de l’accord avec Eni, étant donné l’instabilité chronique de la Libye, le sous-investissement, la forte demande intérieure et le manque d’exportations depuis qu’une guerre civile a éclaté en 2011. L’année dernière, la Libye n’a livré que 2,63 milliards de mètres cubes à l’Italie, ce qui est bien inférieur au niveau d’avant 2011 (8 milliards de mètres cubes par an) et à la demande italienne de 5 milliards de mètres cubes par an en provenance de Libye.

Le voyage était « principalement un spectacle politique destiné à produire un effet d’annonce dans les médias et à donner l’impression que le nouveau Premier ministre italien est sûre d’elle, efficace, ferme, active et sans état d’âme », juge Jalel Harchaoui, chercheur associé au Royal United Services Institute.

« Il n’y a aucune raison de croire que le chiffre de 8 milliards $ sera investi dans un avenir prévisible. La moitié de ce montant doit être investie par la National Oil Corporation libyenne, et pour l’instant, personne n’a de raison convaincante de croire que cela se produira. » L’instabilité politique et l’insécurité de la Libye restent une contrainte majeure. « La Libye n’est bien sûr en aucun cas un partenaire fiable », considère Matteo Villa, chargé de recherche au groupe de réflexion italien ISPI.

En février 2023, la Chambre des représentants, basée à l’est, a confirmé un nouveau gouvernement oriental, prolongeant ainsi la division institutionnelle du pays.

L’accord avec ENI est susceptible d’approfondir le fossé entre les administrations rivales, comme cela a été le cas avec les accords pétroliers et militaires entre la Libye et la Turquie. Il a déjà mis en évidence les querelles internes au sein du gouvernement du Premier ministre du GNU, Abdul Hamid Dbeibeh. Mohamed Oun, le ministre du pétrole et du gaz de Dbeibeh, n’a pas assisté à la signature de l’accord avec Eni, mais l’a critiqué à la télévision, déclarant que de tels accords devraient être conclus par le ministère, et non par la NOC.

Le Parlement, basé dans l’est du pays, a rejeté catégoriquement la nomination de Farhat Bengdara à la présidence de la NOC et, par extension, tout accord que celle-ci ou Tripoli pourrait conclure avec des entreprises et des États étrangers.

La concurrence entre les administrations rivales et les épisodes de conflit violent ont entraîné le blocage et la fermeture d’installations pétrolières ces dernières années, ce qui a entravé la croissance du secteur. Au deuxième trimestre de 2022, la production de pétrole n’a atteint que 0,88 million de barils par jour en moyenne, soit un tiers de moins qu’au premier trimestre. Selon la Banque mondiale, la perte de revenus pétroliers due au blocage des installations a coûté au pays environ 4 milliards $.

L’économie libyenne en plein marasme

Pendant ce temps, l’économie libyenne est dans le marasme, malgré les prix élevés de l’énergie. L’inflation est élevée, à 37 % en glissement annuel pour un panier de dépenses de base en avril 2022.

Et la Banque mondiale de noter : « L’instabilité politique en Libye et la guerre en cours en Ukraine vont probablement ralentir la reprise économique de la Libye. Si le pays pouvait maintenir les niveaux actuels de production et d’exportation de pétrole, il bénéficierait de la flambée des prix mondiaux du pétrole, ce qui se traduirait par des recettes fiscales plus élevées et des entrées plus importantes de devises fortes. Cela aura un impact positif sur sa croissance et sur ses équilibres budgétaires et extérieurs. »

Cela dépendra, note le prêteur international, d’une gestion transparente et responsable des recettes pétrolières et d’une amélioration des conditions politiques et de sécurité.

En l’absence d’une fin en vue aux problèmes de sécurité du pays, la croissance forte est peu probable. Outre l’insécurité et l’incertitude auxquelles sont confrontées les entreprises énergétiques qui cherchent à investir en Libye, la forte demande intérieure continuera de contrarier les exportations de pétrole et de gaz, comme c’est le cas en Égypte. « Le problème est que la sécurisation d’un long gazoduc implique de passer des accords avec les pouvoirs locaux et les milices, ce qui implique également de laisser une grande partie du gaz produit sur le marché intérieur », explique Matteo Villa. « Environ 60% du gaz produit est utilisé sur le marché intérieur, souvent de manière subventionnée, et donc quelque peu gaspillé. »

L’Algérie semble un partenaire fiable pour l’Italie aux niveaux actuels (environ 24 milliards de mètres cubes par an) et on ne peut compter sur la Libye pour exporter plus de 3 milliards de mètres cubes par an.

« Il s’agit surtout d’un signal politique indiquant que nous sommes déterminés à maintenir le cap avec les partenaires qui nous restent, maintenant que nous avons presque perdu la Russie », reconnaît Matteo Villa.

Pour l’instant, il semble que l’Afrique du Nord ne soit pas la solution miracle pour l’Italie. Pour l’Europe, la quête d’alternatives fiables au pétrole et au gaz russes va se poursuivre.

Tunisie: l’influent ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine annonce sa démission




Le ministre souhaite se consacrer à ses enfants après le décès de sa femme en juin 2022.
L’influent ministre de l’Intérieur tunisien Taoufik Charfeddine, un proche du président Kais Saied, a annoncé vendredi sa démission, affirmant vouloir se consacrer à ses enfants après le décès de sa femme l’année dernière.

En poste depuis octobre 2021, Taoufik Charfeddine, 54 ans, a affirmé à la presse avoir demandé à Kais Saied de mettre fin à ses fonctions et l’a «remercié pour s’être montré compréhensif et d’avoir autorisé à être relevé de mes responsabilités au ministère de l’Intérieur».

Ce qu’a dit aux juges la dernière confidente de Kadhafi

Une ancienne collaboratrice de Mouammar Kadhafi, Mabrouka Cherif, a confirmé aux juges la demande par Nicolas Sarkozy d’un soutien financier pour sa campagne présidentielle de 2007. Elle assure que le président français a renouvelé cette démarche, en 2010.

Vient de paraitre:  « Libyan Affairs  » No 26- septembre-octobre 2022

 

Le nouveau numéro (26) de la revue bimestrielle «Affaires libyennes» vient de voir le jour. Axé sur les études sur la Libye contemporaine, la revue de 160 pages est une publication du «Centre maghrébin d’études sur la Libye». Elle continue à sortir depuis 2015, avec le soutien de la Fondation Hanns Seidel. Dans son article sur la tuerie de 1200 prisonniers politiques au sinistre bagne d’Abou Salim (banlieue de Tripoli) perpétrée par Kaddafi en personne aidé par ses fils, Shadi Hamid retrace les évènements qui ont préparé le soulèvement général de 2011 (Abu Saleem massacre, largest mass-killing operation in Libyan prison). D’autres plumes meublent ce numéro riche en articles et documents nouveaux tels que Jean-Pierre Filiu, Rachid Khechana (Rédacteur en chef), Hakim ben Hamouda, Abdellatif Hermassi et Abderrahmane Chalgam (ex-ministre des affaires étrangères).

Sommaire / Contents

• Abu Saleem massacre, largest mass-killing operation in Libyan
prison
Ashour Zintani……………………………………………………………………………………………. 5
• Middle Eastern Autocrats Embarrassed Biden at Will
Shadi Hamid ……………………………………………………………………………………………….. 7
• La France a quitté le Mali
Communiqué………………………………………………………………………………………………. 11
• La Libye sans représentant de l’ONU depuis sept mois
Jean-Pierre Filiu…………………………………………………………………………………………. 12
• Qui profite du pétrole et du gaz de l’Afrique ?
Angus Chapman ………………………………………………………………………………………… 16
• Libye : La production pétrolière retrouve son niveau d’avant-blocus
Economie……………………………………………………………………………………………………… 22
• Les trois continents de la stratégie russe
Jean-Pierre Filiu…………………………………………………………………………………………. 24
• Audace, solidarité et coopération internationale
Hakim Ben Hammouda……………………………………………………………………………. 26
• Entretien avec Gérard Chaliand
Interview ……………………………………………………………………………………………………… 30

• Les populations civiles, premières victimes du groupe Wagner en
Afrique, selon un rapport d’Acled
Cyril Bensimon……………………………………………………………………………………………. 39
• Brief Report on the Situation of Human Rights in Libya

La Libye au bord de l’implosion

 

Le mandat du gouvernement d’union nationale libyen expire mardi sans qu’aucun scrutin ait permis de le remplacer. Divisée entre le pouvoir du maréchal Haftar à l’est et la formation reconnue par l’ONU à l’ouest après une période de relatif cessez-le-feu, la Libye est au bord d’une nouvelle guerre civile

Malak déboule sur le skatepark en béton en marche arrière, enchaînant les figures sur ses rollers. «J’adore ce nouveau spot près de la mer», lance l’adolescente, une casquette enfoncée sur ses cheveux tressés. A 19 heures, la température commence à descendre en dessous des 30 degrés à Tripoli, sur la côte méditerranéenne à l’ouest de la Libye.

La vie semble avoir repris le dessus grâce au cessez-le-feu signé en octobre 2020. Mais la trêve est précaire. Le 10 juin dernier, vendeurs de barbe à papa et familles nombreuses s’approprient les pelouses alentour, lorsque soudain des rafales de tirs et des explosions recouvrent les rires d’enfants. Sur l’aire de jeu, c’est le sauve-qui-peut: deux des principales milices rivales de Tripoli ont attendu la tombée du jour pour s’affronter en plein centre-ville. Un militant est tué et les civils épargnés par miracle.

Un mois plus tôt, le chef d’une de ces deux milices avait aidé l’ex-ministre de l’Intérieur Fathi Bashagha, désormais membre de l’opposition dirigée par le maréchal Haftar en échange d’un poste de premier ministre, à pénétrer brièvement dans la capitale. Il en avait été expulsé par la force. Soutenu par le parlement de l’Est, Fathi Bashagha a installé son gouvernement parallèle dans la ville côtière de Syrte, au centre du pays, à l’extrémité du territoire contrôlé par les forces du maréchal Haftar. Quelques heures après les affrontements, une vidéo diffusée sur internet divertit et scandalise les Libyens. On y voit le chef du gouvernement reconnu par l’ONU s’entretenir par téléphone avec le chef de la brigade 444. «Cela ne va pas du tout! Il faut faire taire les armes par tous les moyens et laisser les gens se divertir!» lance Abdulhamid Dabaiba… affalé en pyjama sur un canapé.

Une offensive surprise gravée dans les esprits
Du côté du gouvernement d’union nationale, on se dit pourtant prêt à stopper toute nouvelle tentative d’intrusion de la capitale libyenne. «J’ai deux à trois mille hommes prêts à combattre», affirme le commandant Salaheddine Namroush, qui «s’attend à d’autres affrontements» à l’approche de la date symbolique du 21 juin. Depuis le mois de mai, il y a eu au moins quatre affrontements entre milices dans la capitale libyenne et ses environs.

La crainte d’une nouvelle escalade est d’autant plus grande que les Tripolitains se remettent à peine de l’offensive surprise du maréchal Haftar, lancée en avril 2019, pour prendre le contrôle de tout le pays. En quelques semaines, la capitale s’était retrouvée encerclée et ses faubourgs occupés. Les troupes envoyées par la Turquie, qui soutient le gouvernement basé à Tripoli, avaient stoppé in extremis la progression de son armée, soutenue par les Emirats et des mercenaires russes de la société Wagner. Le cessez-le-feu et surtout le nouveau gouvernement d’unité nationale nommé en février 2021, avaient soulevé un réel espoir de paix. Le plan négocié sous l’égide de l’ONU devait mettre fin à la décennie de guerre civile qui déchirant le pays depuis la chute du dictateur Kadhafi en 2011. Pour la première fois, les deux camps rivaux de l’Est et Ouest acceptaient de gouverner ensemble pendant une période de transition de 18 mois, avec un objectif: organiser des élections présidentielles et parlementaires.

Trois armes par habitant
Ce mardi 21 juin, le mandat du gouvernement d’union nationale (GNU) arrive à expiration. Sauf qu’aucun scrutin n’a eu lieu pour le remplacer. Comme l’ONU n’avait pas prévu ce cas de figure, le premier ministre, Abdulhamid Dabaiba, a décidé de rester au pouvoir jusqu’à ce que d’hypothétiques élections soient organisées. Le parlement conteste et menace de le remplacer par son gouvernement parallèle, dirigé par Fathi Bashagha.

Aux carrefours des grandes avenues de Tripoli, des miliciens font signe aux automobilistes d’avancer en balançant leur kalachnikov. «Les check-points sont plus nombreux ces dernières semaines. On sait que ça peut dégénérer, en particulier le week-end, donc je ne traîne pas. Il suffit parfois de klaxonner pour qu’un jeune sorte son fusil. Mais ça peut arriver aussi dans les banques gardées par les milices», note Farah au volant de son 4×4. Depuis la fin des 42 ans de règne de Kadhafi, près de 20 millions d’armes circuleraient dans ce pays qui compte à peine 7 millions d’habitants. Le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdulhamid Dabaiba a acheté le calme dans la capitale en intégrant les principales milices à l’appareil sécuritaire et en leur allouant des millions. «Aujourd’hui, nous avons mille Mouammar Kadhafi, plus un seul! Le pays restera instable tant que les armes seront omniprésentes», prédit la directrice d’école de 45 ans.

«La Libye pourrait ressembler à Dubaï»
A côté des toboggans aux couleurs acidulées, seules quelques voitures calcinées et des impacts sur des immeubles vides rappellent les échanges de tirs intervenus la veille. Pas de quoi perturber les deux fils d’Awatef, qui se roulent dans l’herbe fraîche. «Il n’y a pas beaucoup de parcs et chez nous, l’électricité est coupée quatre à sept heures par jour. Nous n’avons pas l’esprit tranquille dans ce grand parc du centre-ville, mais nous n’avons pas le choix si nous voulons prendre l’air», explique leur mère. Si les clashs restent pour l’instant brefs et localisés, les coupures d’électricité font enrager toute la population. Sans prévenir, les plombs sautent pendant quelques heures à Tripoli et jusqu’à la moitié de la journée dans le sud du pays, où le thermomètre affiche jusqu’à 45 degrés. En cause, la vétusté d’infrastructures électriques laissées à l’abandon cette dernière décennie, marquée par trois guerres civiles consécutives. Dans la périphérie ouest de Tripoli, une centrale devait ouvrir au début de l’été, mais les violents combats du mois de mai l’ont endommagée et repoussé sa mise en service.

Devant la station essence Motul, une file de voitures s’allonge sur plusieurs centaines de mètres. Le patron n’ouvre que cinq heures par jour, faute de générateur électrique relié aux pompes. Et au pays de l’or noir, c’est l’heure de la pénurie. La Libye a beau posséder les plus grandes réserves de pétrole du continent africain, faute de raffineries, elle importe 80% de son gasoil en payant le prix fort du marché mondial. Pour ne rien arranger, les contrebandiers détourneraient jusqu’à 40% des livraisons selon le directeur de la compagnie nationale de pétrole (NOC). «Avec tout notre pétrole, la Libye pourrait ressembler à Dubaï, mais tout le monde se sert au passage», tempête Farid, commercial de 39 ans. L’homme d’affaires, qui a demandé à changer de prénom par prudence, raconte qu’il s’est résigné à verser un pot-de-vin de 50 000 dinars (soit 9000 francs suisses) au caïd de son hameau qui empêchait la construction d’une nouvelle route par la municipalité. «Soit je perdais le contrat, soit je risquais d’être kidnappé, voire tué», déplore-t-il.

«Personne ne survit avec un seul emploi»
Tandis que les nouvelles élites militaires s’enrichissent, le niveau de vie du reste de la population s’effondre. La valeur du dinar libyen, quasi équivalente au dollar avant la révolution, a été divisée par cinq. Avec le même billet bleu d’un dinar, Fathi ressort de la boulangerie avec quatre petits pains, au lieu d’une trentaine dix ans plus tôt. Son salaire de fonctionnaire de 1000 dinars (soit 200 dollars) lui permet «de tenir dix jours» avec sa famille de quatre enfants, en limitant le menu «à du pain et des œufs». Pour survivre, il revend des déchets de plastique et de ferraille pour quelques dizaines de dinars. La fonction publique pléthorique, héritée de l’ère Kadhafi où le secteur privé n’existait pas et qui emploie toujours 75% de la population active – soit 2,3 millions de personnes – mais n’assure plus qu’une sorte de revenu minimal de solidarité. «Plus personne ne survit qu’avec un emploi. Cumuler un poste dans le public et un autre dans le privé devient la norme», assure Walid, ingénieur civil qui consacre sa matinée à une agence publique pour 800 dinars avant de rejoindre jusqu’à 21 heures une compagnie pétrolière qui le paye «beaucoup plus».

En 2022, l’inflation atteint près de 4% selon le Fonds monétaire international, mais le prix des produits de base comme le riz et l’huile de cuisson a bondi de 75%. En réponse, le ministre de l’Économie prévoit de subventionner le blé, importé pour moitié d’Ukraine et de Russie, à hauteur de 40%. Les fonctionnaires ne voient que maintenant leur salaire augmenter de 20%, comme promis il y a six mois.

Des funérailles aux mariages
La mesure phare qui dope la popularité du gouvernement chez les jeunes, majoritaires dans le pays (60% de moins de 34 ans), c’est la bourse aux mariages, un fonds doté de 2 milliards de dinars (10 millions de francs suisses). Quelque 50 000 couples en ont bénéficié pour financer leur fête et leur logement. «C’est une manière de détourner les jeunes des milices, dans un pays conservateur où un homme non marié peut créer beaucoup de problèmes» explique le chef du gouvernement d’union nationale, Abdulhamid Dabaiba. Une solution aux dépens de nombreuses femmes, parfois mineures, qui dans les familles traditionnelles, n’ont pas leur mot à dire sur le choix du fiancé.

«Je vois mes amies planifier des mariages plutôt que des funérailles, mais le chèque du gouvernement est dérisoire. Ce dont nous avons besoin, c’est d’énormes investissements dans l’éducation et la santé», relève Arij, une femme célibataire de 29 ans, Comme 2,8 millions de ses compatriotes, cette cheffe de projet dans une association locale s’était inscrite avec enthousiasme sur les listes électorales ouvertes en 2021. Les promesses alors lancées ne ressemblent plus aujourd’hui qu’à «un rêve lointain», conclut-elle.

 

Habib Bourguiba avait-il interdit le voile dans la rue, comme l’a dit Marine Le Pen?

Le président tunisien Habib Bourguiba lors d’un discours radiodiffusé en 1957. (TAP/AFP)

 

Le président tunisien, et non algérien comme l’a affirmé la candidate d’extrême droite au micro de France Inter, avait interdit le port du voile dans l’administration.

La candidate d’extrême droite Marine Le Pen est devenue mardi la risée du Web tunisien. Interrogée sur sa proposition qui ferait de la France, comme le dit Léa Salamé, «le seul pays à interdire le voile dans la rue, dans le métro», Marine Le Pen a répondu au micro de France Inter mardi 12 avril que «M. Bourguiba avait interdit le voile en Algérie». Finaliste de l’élection présidentielle pour la deuxième fois consécutive, Marine Le Pen s’est emmêlé les pinceaux entre l’Algérie et la Tunisie, puisque Habib Bourguiba a été le président tunisien de 1957 à 1987. Les lois qu’il a promulguées ne s’appliquaient logiquement pas au pays voisin.

Au-delà de l’erreur grossière, l’affirmation selon laquelle Habib Bourguiba aurait interdit le voile dans la rue, comme le suggère l’échange, est également fausse. CheckNews s’est déjà penché sur le sujet en 2018, après que le journaliste Bernard de la Villardière avait affirmé que l’administration tunisienne avait interdit le hijab. Citant le travail de la chercheuse tunisienne Maryam Ben Salem, nous expliquions que quatre circulaires prises à partir de 1981, sous la présidence de Bourguiba, ont interdit «la tenue confessionnelle», c’est-à-dire le voile, dans les établissements scolaires publics, dans les établissements primaires et secondaires, dans les écoles supérieures d’enseignement, les cités et les foyers universitaires.

Hormis le cadre scolaire et académique, la chercheuse ajoute auprès de CheckNews que la «quatrième [circulaire] datant du 12 août 1987 s’adressant aux agents de l’administration et des établissements publics des deux sexes stipule que «la tenue vestimentaire doit inspirer le sérieux et ne doit aucunement susciter toute forme de provocation ni attirer l’attention. Aussi, convient-il d’attirer l’attention sur un autre phénomène qui consiste à déroger à nos traditions vestimentaires communes et à se vêtir d’une sorte de voile qui s’apparente plutôt à la tenue confessionnelle, laquelle contraste avec l’esprit de l’époque et la loi de l’évolution. Cette tenue traduit en fait une attitude singulière en contradiction avec les lois qui régissent la fonction publique et qui appellent à la réserver». La prohibition du port du voile a été élargie aux établissements privés par une autre circulaire datée de décembre 1991, portant sur la tenue des agents de l’administration et des institutions publiques et privées.

 

 

 

 

 

Maghreb : l’OPA de Sissi

 

Le raïs égyptien veut imposer son logiciel à toute la région, un logiciel au cœur duquel il y a l’armée et l’islam. Dernière cible : Tunis.

Illusions perdues ou petites scènes de la vie quotidienne des pouvoirs. Celle-ci fut piquante. Au détour d’une conférence consacrée à la Libye, son présent, son avenir, ses cicatrices à cautériser à coups de grands travaux financés par les bailleurs de fonds, c’est à Paris, capitale qui prise le régime du maréchal Sissi (1), que Najla Bouden, la cheffe du gouvernement tunisien, a rencontré le raïs, lui faisant part de « l’intérêt de son pays à bénéficier de la réussite égyptienne, sous la direction sage de M. le président » selon les mots du communiqué de la présidence égyptienne.

L’axe Le Caire-Tunis s’est consolidé
Au-delà des politesses diplomatiques, du babillage aseptisé par les comptes rendus officiels, ce rendez-vous n’avait rien d’anecdotique. C’était un acte II. Kaïs Saïed, le président de la République tunisienne, s’était rendu en avril dernier, trois jours, trois nuits, en visite officielle en Égypte. Il y fut accueilli comme aucun des dirigeants démocratiques du pays depuis la chute de la dictature Ben Ali. Trois mois et demi plus tard, il enclenchait l’article 80 de la Constitution, « gelait » les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple (217 députés privés de salaires, de sécurité sociale), suspendait sine die la présidence du gouvernement. L’article 80 qui se limitait à « trente jours » est toujours de vigueur 110 jours plus tard, comme un parfum d’Égypte 2013.

Ce rendez-vous, entre Mme Bouden et M. Sissi cimente, à sa façon, l’union de la forteresse anti-Printemps arabe et du fief du Printemps arabe. La présidence de la République égyptienne a fait grand bruit de l’entretien. Najla Bouden a ainsi placé Tunis, depuis Paris, sur la diagonale cairote. Si rencontre bilatérale ne vaut pas allégeance, la jeune démocratie, pionnière du printemps arabe, vit des mois difficiles depuis le 25 juillet. La première femme à accéder à des fonctions exécutives aura effectué son premier voyage à l’étranger en Arabie saoudite. Après Mohammed ben Salmane, dit MBS, voici le maréchal Sissi. Un des deux axes familiers dans la région. Le premier, Abou Dhabi, Riyad, Le Caire : anti islam politique tout en étant ultraconservateurs sur les questions des mœurs (la polygamie est autorisée en Arabie saoudite comme aux Émirats) ; le second, Qatar, Turquie, comme soutiens des Fréristes.

Sissi : FMI, armée et dogmes religieux
En Égypte, depuis le coup d’État mené par l’armée en juillet 2013, un régime en titane a été instauré. Au menu : une dictature militaire où l’armée a droit de veto sur les nominations des ministres, un ultra conservatisme qui pourchasse laïcs et LGBT, un gouvernement soutenu par le parti salafiste Al-Nour. L’ADN de tout cela : Le Caire symbolise la lutte contre l’incarnation dans les urnes de l’Islam politique. L’islamisation de la société par le bas, oui, son incarnation dans les scrutins, non.

L’époque Hosni Moubarak, vingt-neuf années de règne sans contestation possible, passe pour une « aimable » période en comparaison des huit années de gouvernance Sissi. Dès son irruption au pouvoir, celui-ci a bénéficié d’une aide considérable de plusieurs dizaines de milliards de dollars de deux pays du Golfe : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Il a aussi accepté un plan du FMI qui a entraîné la division par deux, du jour au lendemain, de la livre égyptienne.

Clin d’œil pour clin d’œil, la Tunisie s’engagera-t-elle sur un chemin similaire ? Acculé sur le délicat état de ses finances publiques, le pays est en quête d’argent. On est peu bavard sur le sujet, ces temps-ci, dans les couloirs du pouvoir tunisois. Kaïs Saïed les concentrant tous, difficile de savoir ce qu’il adviendra. Tunis peut-il accepter un plan du FMI aussi drastique ? Dans une situation de finances publiques difficile, le pays a promis à plusieurs reprises de diminuer la masse salariale de sa fonction publique qui représente près de 44 % du budget de l’État sans mettre en pratique ses promesses. Un duplicata du scénario égyptien est-il envisageable ? Voire !

Pour un Maghreb martial et conservateur
Dans un contexte de grand chambardement au Maghreb : escalade sémantiquement guerrière entre l’Algérie et le Maroc (Alger accuse Rabat d’assassinats, de comploter), Libye écartelée par les intérêts de puissances étrangères, Tunis figée depuis le coup d’État constitutionnel du 25 juillet, la région est une zone d’incertitudes pour l’Europe, premier partenaire de la région.

S’amarrer au Caire offre une apparente stabilité. L’uniforme rassure certains civils et ministres européens. À l’ONU, au printemps dernier, 31 pays ont dénoncé le détournement de l’arsenal antiterroriste égyptien pour emprisonner les opposants journalistes, politiques, avocats, ainsi que les minorités sexuelles. Au nom de cette lutte antiterroriste, Le Caire a obtenu les gratifications des démocraties occidentales. Défaire les Frères musulmans revient à démanteler le seul parti politique capable de s’opposer à l’armée. Pour soutien de Sissi, le parti salafiste Al-Nour approuve ouvertement le raïs. Ensemble, ils partagent la même vision de la société : les valeurs de l’islam l’emportent sur toutes autres (2), les minorités sexuelles sont emprisonnées.

Les cinq pays qui composent le Maghreb comptent cent millions d’habitants, autant que la seule Égypte. Du Caire partent des modes et des tendances. Ce qui se passe dans la rue infuse jusqu’à Rabat. Depuis 2013, la musique militaire du maréchal Sissi résonne. Le glas du Printemps arabe semble sonner au pied du berceau démocratique qu’est la Tunisie. La légendaire neutralité diplomatique tunisienne cèdera-t-elle aux sirènes égyptiennes ?

(1) Jean-Yves Le Drian confiait au « Point » son amitié pour le maréchal Sissi.

(2) « Les valeurs religieuses sont d’origine céleste et sont donc sacrées, elles ont la suprématie sur tout » : citation du maréchal Sissi lors d’une conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron (7 décembre 2020, Paris).

La Chambre de commerce et d’industrie du Nord-Ouest participe au Forum international libyen pour les petits et moyens projets

 

(TAP) – La Chambre de commerce et d’industrie du Nord-Ouest (CCINO), a annoncé samedi sa participation au Forum international libyen des petits et moyens projets, prévu du 1er au 4 novembre 2021 à Tripoli.

Une délégation de représentants d’entreprises des gouvernorats du Kef, Jendouba, Siliana et Beja, participera à ce forum, pour s’informer sur l’expérience de la Libye et des pays participants dans la création et l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME).

Cet événement est organisé par le Programme national libyen pour les petits et moyens projets, qui vise à sensibiliser au climat des affaires à l’échelle internationale dans le domaine des petits et moyens projets.

« Nous étions sûrs d’être les bienvenus » : les touristes européens font leur retour en Libye

Des touristes européens à Ghadames, en Libye, le 19 octobre 2021. MAHMUD TURKIA / AFP

Pour « casser le mur de la peur » après dix ans de chaos, une agence de voyage a offert un road-trip à une centaine de baroudeurs escortés par des policiers.

Les sirènes des policiers retentissent à travers la ville fortifiée de Ghadames, ouvrant le passage à des dizaines de gros 4×4 transportant des touristes italiens, français, islandais ou suisses. A l’instar des autres villes de Libye, cette oasis bâtie au milieu d’une palmeraie n’avait pas reçu de groupes de touristes depuis 2012, du fait du chaos consécutif à la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011.

A la faveur de la fin des combats entre camps rivaux, à l’été 2020, et du processus politique en cours visant à pacifier le pays, Ali el-Kouba, qui dirige une agence de voyage privée, a organisé ce road-trip à travers les vastes étendues du désert pour « casser le mur de la peur chez de nombreux admirateurs du Sahara libyen », confie-t-il à l’AFP. Avec le soutien des autorités, qui ont sécurisé le circuit et fourni des policiers pour escorter le convoi, M. Kouba a « offert gracieusement » le voyage à une centaine de touristes européens, pour beaucoup des baroudeurs aguerris qui connaissaient déjà le pays.

C’est le cas de Jean-Paul, un Français de 57 ans : « La dernière fois [en Libye] remonte à plus de dix ans. Nous avions découvert un pays magnifique, avec des paysages extraordinaires et des gens très accueillants, se souvient-il. Bien sûr, nous avions envie de revenir. Les événements ont fait que pendant dix ans, cela n’a pas été possible, et là on nous a fait savoir qu’on pouvait éventuellement revenir en étant encadrés, en sécurité. Les gens sont toujours accueillants et on sent que les Libyens ont envie de revoir des touristes.»

Ghadames, la « perle du désert »
« Nous voici à Ghadames après dix ans d’absence », renchérit d’une voix enthousiaste l’Italien Giovanni Paolo, coiffé d’un chèche jaune façon touareg. « Nous étions sûrs d’être les bienvenus dans ce merveilleux pays », lance dans un grand sourire ce voyagiste d’une cinquantaine d’années. Arrivé via un poste-frontière avec la Tunisie, le groupe a passé une nuit à la belle étoile avant de s’élancer à la découverte du grand sud libyen, fait de dunes et de rocailles, en passant par la pittoresque Ghadames, l’une des plus anciennes villes de la région pré-saharienne, « perle du désert » située à 650 km au sud-ouest de Tripoli.

Armés d’appareils photo et de smartphones, les visiteurs arpentent en groupe la médina de l’ancienne cité caravanière, avec ses ruelles labyrinthiques peintes à la chaux, ses boutiques d’artisanat et ses maisons traditionnelles renforcées par des troncs de palmiers. Dans la partie nouvelle de cette ville inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, une élégante mosquée à deux minarets se dresse face à des villas cossues au ton ocre ornées de cornes blanches, reprenant les éléments architecturaux typiques de la vieille ville.

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Jean-Jacques Sire, un Français de 67 ans, a découvert en 1994 la Libye, où il a « rencontré une population d’un accueil exceptionnel », avant d’y retourner quatre ans plus tard. « Quand j’ai su qu’il y avait un groupe d’amis qui était prêt à revenir, je n’ai pas hésité », raconte-t-il, barbe blanche et chapeau melon noir sur la tête.

La sécurité demeure précaire
Secteur confidentiel dans un pays où la paix demeure fragile et l’économie dominée par le poids des hydrocarbures, le tourisme avait connu une timide ouverture dans les années 2000. A l’époque, le régime de Kadhafi venait d’entreprendre un retour sur la scène internationale, couronné par la levée d’un embargo onusien en 2003. Des visas de tourisme avaient été émis pour la première fois et un ministère avait été créé. En 2010, 110 000 touristes étrangers avaient visité la Libye, générant 40 millions de dollars (33 millions d’euros) de recettes. Tout s’est arrêté net en 2011.

« L’idée derrière le voyage était de faire revenir les touristes européens, et aujourd’hui ils sont là », se réjouit Khaled Derdera, coordinateur général du voyage, qui veut contrecarrer « l’idée selon laquelle la Libye est un Etat défaillant ». Malgré les avancées politiques des derniers mois, la sécurité demeure néanmoins précaire. La plupart des pays déconseillent formellement à leurs ressortissants de s’y rendre, retardant la relance du secteur.

«En Libye, les réseaux kadhafistes ont pollinisé l’ensemble de l’échiquier politique»

Une affiche déchirée de Mouammar Kadhafi à Tripoli, en septembre 2011. ANIS MILI / REUTERS

 

Mouammar Kadhafi a été lynché à mort le 20 octobre 2011 à proximité de Syrte par des insurgés. Dix ans après, la Libye ne s’est toujours pas affranchie de l’héritage des quarante-deux ans de règne du « Guide », un passif qui explique en partie la fragmentation qui a suivi la révolution. A l’heure où une certaine nostalgie de l’ancien régime affleure dans une partie de la population, les réseaux kadhafistes demeurent influents mais peinent à trouver en leur sein un chef qui pourrait « incarner une alternative » leur permettant de « rétablir l’ordre pré-2011 », estime Virginie Collombier, chercheuse et professeure à l’Institut universitaire européen de Florence.

Comment Mouammar Kadhafi est-t-il perçu en Libye dix ans après sa mort ?
La population est divisée sur l’héritage de Kadhafi. Pour les partisans de la révolution et ceux qui ont souffert de la répression du régime, si les nouveaux dirigeants ne sont pas parvenus à reconstruire un système qui fonctionne après 2011, c’est essentiellement parce que Kadhafi n’a pas su édifier un véritable Etat durant ses quarante ans de règne. Quand le régime s’est effondré, les institutions sont tombées avec lui.