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Le monde confronté à la contagion djihadiste

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Réunie mercredi à Paris, la coalition veut reprendre à Daech ses «capitales» de Raqqa et Mossoul.

La campagne contre Daech entre dans une nouvelle phase, avec les préparatifs d’une longue bataille dont l’objectif est la libération des villes de Raqqa et de Mossoul, les deux «capitales» de l’État islamique (EI), en Syrie et en Irak. La cible est aussi, plus largement, de détruire toutes les «métastases» de l’EI, où qu’elles surgissent. Ce «narratif» politico-militaire était au cœur de la rencontre, mercredi à Paris, de six ministres de la Défense des pays les plus engagés contre Daech (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Australie et Pays-Bas), autour de Jean-Yves Le Drian. «Nos efforts commencent à porter leurs fruits. On assiste à un recul de Daech», a déclaré le ministre français de la Défense, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue américain, Ashton Carter. Un peu plus tôt, leur collègue britannique, Michael Fallon, avait quantifié les revers territoriaux de Daech: l’organisation djihadiste aurait perdu 25 % du territoire qu’elle contrôlait en Irak et 10 % en Syrie. En même temps, sa «résilience» n’échappe à personne.

Vers une coalition élargie

«C’est le moment d’accroître nos efforts collectifs en mettant en œuvre une stratégie cohérente», a ajouté Jean-Yves Le Drian. La finalité de ces efforts est explicitement soulignée: «Raqqa et Mossoul doivent être reprises.» Il s’agit, a aussi dit le ministre, de «déraciner Daech sur le terrain et dans les esprits». Depuis dimanche dernier, a-t-il précisé, trois frappes françaises ont été effectuées à Mossoul avec des missiles Scalp sur des centres de commandement et de transmission de Daech.

«Ces deux attentats (au Mali et au Burkina Faso, NDLR) montrent que l’action que nous devons mener au Sahel n’est pas achevée»

Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense

Les ministres de la Défense ont poursuivi leurs entretiens à Paris par une réunion de travail en fin d’après-midi sur le nouveau site de Balard, au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), le cœur ultrasécurisé des engagements militaires français. Peu de détails ont filtré sur les détails de cette stratégie collective «améliorée» et les nouveaux moyens qui pourraient être mis en œuvre. L’intention était de pérenniser ce rendez-vous et de l’élargir – certains pays de la coalition, tel le Canada, ont peu apprécié de n’avoir pas été conviés. Ashton Carter, après avoir couvert son homologue français de compliments – «Je n’ai jamais passé avec aucun autre ministre autant de temps au téléphone», a-t-il dit -, a lancé une invitation. Les ministres de la Défense de vingt-six pays de la coalition anti-Daech sont conviés «dans trois semaines» à Bruxelles pour renforcer leur action. «Tous les pays doivent venir en étant prêts à discuter de nouvelles contributions», a déclaré Ashton Carter, soulignant lui aussi que «nous sommes convenus que nous devons tous faire plus». Jean-Yves Le Drian a ajouté qu’une nouvelle réunion pourrait se tenir ensuite à Londres. Selon Ashton Carter, l’action de la coalition recouvre trois objectifs qui constituent autant de grandes lignes stratégiques. Primo, «détruire la tumeur d’origine, qui se trouve en Syrie et en Irak, à Raqqa et à Mossoul». Secundo, «lutter contre les métastases» de Daech, a t-il dit, en filant la métaphore médicale. Tertio, «il faut protéger les citoyens à travers le monde» contre la menace islamiste. Ce triple objectif sera atteint grâce à des «forces locales motivées partout où se trouve Daech», mais aussi grâce à la mise en place d’une «coalition mondiale», a poursuivi le chef du Pentagone, en évoquant l’éventail des moyens dont peut faire usage le front anti-EI: frappes, forces spéciales, conseil aux armées locales, soutien en matériel, cyberdéfense.

Deux problèmes sérieux ont aussi été mis sur la table. D’abord, l’engagement des pays du Golfe, dont l’attention est accaparée par le Yémen, et qu’Ashton Carter juge insuffisant au Levant. «Nous recherchons vraiment leur volonté d’en faire plus, (…) sur le plan militaire ou non militaire. Il y a beaucoup de choses qu’ils peuvent faire», a-t-il dit. Autre aspect problématique, la Russie, qui continue de frapper les groupes de l’opposition armée répertoriés par les Occidentaux comme «non terroristes». «Les Russes sont sur la mauvaise voie stratégique», a souligné Ashton Carter, Jean-Yves Le Drian appelant Moscou à «concentrer ses efforts contre Daech et à cesser de frapper les groupes de l’insurrection qui eux-mêmes combattent Daech».

Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman

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 La Libye : aperçu géographique

2Quand on aborde la Libye, en cherchant à en découvrir l’identité, comment ne pas se référer au Maghreb, voisin et généralement mieux connu, au moins des Français ?

3C’est bien sûr le même type de pays, c’est-à-dire composé d’une façade méditerranéenne où des précipitations non négligeables, quoique diversement réparties, ne découragent pas l’exploitation du sol par l’agriculture, par l’arboriculture et par un pastoralisme basé sur la transhumance, et d’un immense pays désertique, soit rocheux, soit sableux, où la vie se réduit (ou se réduisait naguère) à l’exploitation ponctuelle des oasis et à la migration des nomades.

4On pourrait même dire : même histoire ou même type d’histoire, et ceci est très important en matière de géographie humaine [22]. Une population ancienne, qui n’est point sans rapport avec l’occupation néolithique : ici les Garamantes, au Maghreb les Berbères, mais qui n’ont pu subsister, sous forme de groupes ethniques caractérisés ou simplement linguistiques, que dans des zones relictuelles, en certaines montagnes ou dans le désert. Même occupation d’abord punique (ou grecque en Cyrénaïque, où l’on participe à un univers culturel différent) puis romaine (avec prédilection pour les villes), puis arabe, accomplie en deux temps : le premier pendant lequel l’envahisseur s’est acquis l’administration du pays, au viie siècle dans la lancée d’un Sidi ‘Ouqba, le deuxième cinq siècles plus tard marqué par le passage et l’installation, si l’on peut dire, des nomades Hilaliens. Même incertitude et même va-et-vient, dans les siècles qui suivent, avec les assauts des Normands, des Vénitiens, des Espagnols, éphémères succès toujours suivis de reconquêtes. Mêmes tentatives d’autonomie sous administration turque : avec ici la fondation d’un véritable État, sous les Karamanlis, un siècle durant, ayant eu au moins comme conséquence durable le rattachement de la Cyrénaïque à la Tripolitaine. Enfin la colonisation : là espagnole et française, ici italienne, et plus tardive (après 1913), finalement les unes et les autres éphémères mais laissant dans le pays des traces profondes, soit en matière d’aménagement du territoire, soit par réaction, en matière d’unification politique et de construction d’États modernes.

I. — LE MILIEU PHYSIQUE

1. Structure géologique.

5Et pourtant, la Libye se distingue du Maghreb par un certain nombre d’autres traits, notamment physiques, dont les conséquences sur l’organisation de la vie sont considérables. L’essentiel, curieusement, est d’ordre géologique : il tient dans la structure et dans sa transcription dans le relief, à savoir dans la manière dont est assumé le contact entre la plateforme saharienne et la région méditerranéenne. L’énorme avantage du Maghreb consiste dans le rattachement à la plate-forme saharienne progressivement déprimée vers le nord, de l’ensemble considérable de plissements dits atlasiques et telliens ; ainsi se trouve projeté vers la mer un pays varié, au relief contrasté, qui sur 300 à 400 km de largeur et parfois plus, offre des conditions relativement favorables à la vie humaine, pastorale et même paysanne. Ceci est d’autant plus sensible que la montagne forme écran aux influences océaniques portées par les vents du nord-ouest et que, avec non moins de contrastes que pour le relief, les précipitations peuvent être importantes, à l’inverse de ce qu’elles sont dans l’arrière-pays steppique et désertique : plus de 400 mm, et parfois même plus d’un mètre, il est vrai toujours avec des variations imprévisibles et avec la répartition saisonnière propre aux pays méditerranéens.

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6Rien de cela en Libye. La plate-forme saharienne pénètre directement dans la zone méditerranéenne, à ceci près qu’elle y est recouverte par d’épaisses formations sédimentaires crétacées en Tripolitaine et tertiaires en Cyrénaïque, mais toujours calcaires et qu’elle s’y brise. L’inclinaison de ces formations, leur jeu dans les parties faillées, parfois soulignées par un volcanisme ancien, donnent un relief qui ne ressemble en rien à celui de la zone atlasique ou du Tell. Il faut aller en Tunisie, au sud de Gabès-Matmata, pour en voir les premiers aspects, des couches calcaires soulevées forment une même couronne autour d’un dôme structural, topographiquement surbaissé, qui se situe dans la plaine de la Jeffara, elle aussi commune entre Tunisie et Tripolitaine. Et de même, la Cyrénaïque se termine-t-elle sur la mer par un haut rebord faillé s’abaissant en deux beaux gradins en direction du nord. Par contre, la côte du golfe des Syrtes ne présente pas d’accidents aussi notables ; la plate-forme saharienne y descend à la côte par des pentes douces plus ou moins masquées par des bancs de dunes. Il en va de même, pour l’essentiel, pour la partie orientale de la côte de Cyrénaïque.

7A l’intérieur, la plate-forme saharienne donne un relief monotone, parfois coupé de quelques talus continus, notamment dans le Fezzan. Les plates-formes rocheuses (Hammada) y alternent avec le désert sableux, l’erg ici dénommé Idehan, ou avec les plaques caillouteuses du reg, les Sarîr. Le désert libyen se termine au Sud aux limites du Tibesti et de l’Ennedi, le socle archéen y affleure, perçant la couverture primaire, quand il n’est pas lui-même recouvert par d’énormes épanchements volcaniques. Il en va de même, au volcanisme près, à la frontière égyptienne, à l’Est et au sud-est de Koufra.

2. Le climat.

8On devine quelles peuvent être les conséquences climatiques d’une telle situation. Outre que, du fait de l’échancrure du golfe des Syrtes, la côte libyenne ne dépasse guère 30″ de latitude alors que Tanger et Bizerte sont respectivement à 36″ et 37″5 (Tripoli se trouve à peu près à la même latitude que Ghardaïa en Algérie), l’absence d’écran fait que la pluviométrie reste partout très faible : les seules zones qui atteignent ou dépassent les 300 mm de précipitations annuelles sont la partie centrale de la côte tripolitaine, aux environs immédiats et à l’est de Tripoli, et le talus correspondant, la plaine de Barce et le djebel Akhdar en Cyrénaïque. Il faut cependant tenir compte dans la région côtière, notamment en Tripolitaine, du degré élevé de l’hygrométrie et donc des condensations que provoquent les différences de température si bien qu’il arrive souvent qu’un horizon humide se retrouve à faible profondeur, même dans le sable. Partout ailleurs, le climat est steppique ou désertique. Cette situation est aggravée par les températures partout fortes quand l’altitude ne les corrige pas et qui peuvent occasionnellement et brusquement monter jusqu’à près de 50″ C quand s’établit, notamment au printemps et en automne, le vent du sud, le « Ghibli », analogue au Khamsin égyptien, à l’approche de dépressions situées dans le golfe des Syrtes.

9Dans ces conditions, on se demande comment peut vivre une population, qui pourtant n’atteint pas 2 millions d’habitants, dans cet immense pays, dont il n’y a guère plus de 10 % de la surface qui soit utilisable, pour la culture sédentaire. La Tripolitaine, de toutes les régions la plus favorisée, n’a pas plus de 10 millions d’hectares de terres productives dont 8 au moins sont en pâturages ; et sur les 4 millions de terres productives que compte la Cyrénaïque, plus de 3,6 millions sont également en pâturages.

·  Voir l’article de MM. Albergoni et Vignet-Zunz.

10Si pourtant l’homme est ici solidement implanté, cela est dû à ce qu’il possède de précieuses facultés d’adaptation, dont la principale est le nomadisme pastoral. Il en sera parlé par ailleurs. Sans doute déjà très répandu parmi les Berbères Zénètes, ce genre de vie a été confirmé et étendu à de nouvelles zones (dont certaines auraient pu être le lieu d’implantations sédentaires, en raison d’une meilleure pluviométrie : le Djebel Tarhoûna, par exemple) du fait de l’invasion Hilalienne. Couvrant de ses transhumances caractéristiques la plaine côtière occidentale, la Jeffara, le genre de vie nomade est ou a été dominant sur la presque totalité de la Cyrénaïque, même dans sa partie la mieux arrosée. Enfin il recouvre toutes les parties utilisables du désert intérieur, oasis exceptées.

3. Le problème de l’eau.

11Pourtant, on doit noter que ce pays sec n’est pas sans ressources hydrauliques et que, donc, il est des lieux marqués pour qu’une certaine vie paysanne ait pu s’y développer. Cette question a été étudiée par R.W. Hill [48] à propos de la Jeffara : outre la nappe phréatique, assez superficielle à la frontière tunisienne, plus profonde à l’est et au sud, et qui parfois affleure en sources, une deuxième nappe peut être atteinte à une vingtaine de mètres de profondeur ; enfin des nappes artésiennes, fossiles, existent dans le Miocène. Cela ne veut pas dire que ces nappes soient inépuisables, en cas de pompages excessifs, ni que l’eau en soit toujours excellente : quand elle présente un certain degré de salure comme c’est le cas à Misourâta, elle ne peut être utilisée qu’avec beaucoup de précautions pour l’irrigation. Quant à la Cyrénaïque, si elle est aussi dépourvue d’oueds pérennes que le reste du pays, et si sa pauvreté en ressources hydrauliques a constitué l’une des pierres d’achoppement de la colonisation « démographique » italienne, elle présente pourtant une certaine circulation souterraine de caractère karstique, à vrai dire difficilement utilisable. Enfin, il faut tenir compte des sources, parfois artésiennes, qui donnent naissance aux oasis sahariennes, et des nappes superficielles, facilement atteintes grâce aux techniques traditionnelles de forage des puits. C’est ainsi que s’alimentent en eau les oasis du Fezzan, situées dans deux grande dépressions longitudinales : Chatti-Sabha et Awbari-Marzoûq. Il en va de même pour les oasis de la frontière tuniso-libyenne : Ghadâmès et Ghât. Dans le centre et le sud de la Cyrénaïque c’est-à-dire dans sa partie désertique, les ressources hydrauliques ne sont pas non plus négligeables : des réserves d’eau douce existent au sud de la mer de sable de Calanchio. Surtout, l’épaisse couche des sables et grès de Nubie, qui surmontent les grès paléozoïques du bassin de Koufra, recèle une eau fossile de bonne qualité, abondante, encore que de circulation lente et sans réalimentation superficielle [53].

12Tout cela n’est pas rien, mais reste malgré tout limité comme sont limitées les activités agricoles, arboricoles et pastorales, même si l’on tient compte de l’efficacité relative des techniques traditionnelles de forage et de partage des eaux, ou comme c’est le cas au djebel Nefousa, de l’aménagement minutieux des surfaces, coupées de diguettes multiples, avec, ici ou là, réservoirs ou citernes.

13Ce n’est que sur des zones fort étroites, réparties pour l’essentiel sur la côte, que se situent les activités agricoles, encore faut-il excepter la façade saharienne sur le golfe des Syrtes et même la plaine côtière de Cyrénaïque qui va en se rétrécissant de Benghazi à Toukra sur moins de 100 km et qui est tout juste bonne, au milieu de ses sables et de ses marais salés, à fournir les maigres ressources de son maquis pour le pâturage de quelques troupeaux.

4. Les villes.

14Les choses ne seraient pas ce qu’elles sont, et la Libye ne serait pas la Libye que nous connaissons, s’il n’y avait, en outre, les villes, d’origines diverses et parfois fort anciennes. Leur naissance et leur croissance obéissent à des processus différents et parfois cumulés. La colonisation antique d’abord qui, reposant sur l’exploitation de la frange utilisable (et sans doute mieux utilisée qu’aujourd’hui, en matière de céréaliculture et d’arboriculture) a parfois fait bénéficier ses établissements urbains d’investissements somptuaires et qui peuvent faire illusion. Ces « colonies » formaient, on l’a vu, deux aires bien distinctes : l’aire phénicienne, comptoirs dépendant de Carthage à la belle époque — et où l’on continue à trouver des inscriptions puniques jusque dans les ruines romaines des iie et iiie siècles : Sabratha, Oea (à l’emplacement de Tripoli) et Leptis Magna, distinguée et promue par l’empereur Septime Sévère, Africain d’origine. Et puis, au-delà de la côte des Syrtes, sur un haut rebord dominant de loin la mer, Cyrène, où se manifeste l’influence grecque : un tout autre monde ! L’indication est intéressante, car le clivage est net, et l’aurait été durablement sans doute s’il n’avait été atténué par l’arabisation et par la bédouinisation partielle de deux régions.

15Bédouinisation, très poussée en effet, notamment à partir de l’invasion hilalienne du xie siècle, mais qui n’a pas supprimé toute vie urbaine. Il fallait bien qu’il subsistât des points d’appui pour certains échanges commerciaux entre les nomades et ce qui pouvait rester de population sédentaire : c’est le rôle que joua longtemps Benghazi, dont les premières maisons en dur sont celles de commerçants maltais, attirés par ce type d’activité.

16Et puis très rapidement, des relations sur de plus grandes distances devaient s’établir, sur certains sites historiquement sélectionnés, dont le plus important est celui de Tripoli, à l’emplacement de l’antique Oea. Relations à grande amplitude, que le trafic caravanier, transsaharien, perçant sur la côte pour y déposer les produits de l’intérieur de l’Afrique, dont la poudre d’or et les esclaves ; mais aussi la course, basée sur le port de Tripoli, comme elle l’était sur Alger ou Tunis, et qui n’était pas seulement une aventure un peu scandaleuse, mais instituait une « communication », un type de rapport économique, susceptible d’alimenter pendant des siècles les activités d’une ville déjà importante.

·  Estimation. Un recensement a été fait en 1973, mais les résultats ne sont pas encore connus.

17Ainsi un chapelet d’établissements urbains s’égrène-t-il sur la côte, dont le premier est évidemment Tripoli, ville la plus complète, agglomérée autour de son vieux quartier historique et de son château-fort, mais dont la colonisation italienne, comme l’avait fait la colonisation française pour les villes du Maghreb, avait fait une ville moderne, avec son quartier administratif et surtout ses quartiers résidentiels très étendus, situés surtout à l’ouest de la ville (Giorgimpopoli) et qu’elle avait doté d’un port de bonne qualité, là aussi à l’instar de ce que les Français avaient fait à Alger et pour les mêmes raisons. La ville a maintenant officiellement 380 000 habitants, sûrement plus : nul doute qu’elle ne cesse de grandir, étant l’organisme unitaire le plus complet, bénéficiant comme capitale du fonctionnement d’un État moderne centralisé. Toutefois ce n’est pas elle qui bénéficie de l’exportation du pétrole du fait de la position des puits qui avantage plutôt Benghazi.

18Sympathiques, mais pas bien vivantes, Khoms et plus loin Misourâta ; ces villes ont été fortement marquées par la colonisation italienne qui avait installé non loin de là quelques-uns de ses plus grands domaines.

19L’industrialisation, notamment à Misourâta, choisie comme siège d’un très important complexe sidérurgique, pourrait être l’occasion de rapides mutations. Et puis, pratiquement plus de ville (même pas à Marsa Brega, qui est le grand port pétrolier) jusqu’à Benghazi [177]. La capitale de la Cyrénaïque est restée longtemps un bien piètre établissement occupant un vieux site hellénistique, mais un site incommode : la ville est coincée entre des lagunes salées (sabkha) et la mer. Les Italiens en avaient fait la base de leur éphémère tentative de colonisation de la Cyrénaïque et l’avaient dotée d’un quartier officiel, d’un port et d’une cathédrale toute de marbre. Elle a bien failli sombrer après cet épisode. Et pourtant elle a maintenant le vent en poupe. Elle élargit son site en gagnant sur les sabkhas, en installant des corniches et rocades et surtout en agglomérant une population qui s’élève maintenant à 320 000 habitants, avec un taux de croissance très rapide*.

20Peu de choses à dire des petites villes incrustées sur la côte de Cyrénaïque :Darna pourtant assez vivante avec son abri côtier, son quartier commerçant et son oasis, est un pôle d’attraction à croissance rapide ; Tobrouk, sur sa crique, qui draine les rares produits de son arrière-pays pastoral, la Marmarique, et sert modestement de centre à la Cyrénaïque orientale… en attendant qu’elle profite des installations prévues au débouché du pipe-line de Sarîr. Dès maintenant, l’augmentation de sa population, qui n’atteignait pas 5 000 habitants en 1954, est très rapide ; elle avait déjà triplé entre 1954 et 1964.

21A l’intérieur, le centre rural italien de Barce (Al Mari), très endommagé par un tremblement de terre qui a bouleversé la région, abrite encore une population appréciable, mais surtout une ville nouvelle a été créée à 6 ou 7 km de l’ancienne, Al Marj al Jadîd, avec un programme trop ambitieux semble-t-il, puisqu’une bonne partie des logements construits, déjà sous l’ancien régime, sont inhabités.

22Quant à Bayda qui, elle, doit au fait d’être le siège de la puissante zâwiya des Sanoûsî d’avoir été choisie comme capitale fédérale par le roi Idris, elle a cessé de jouer le rôle attractif — modeste — que lui donnaient ses fonctions administratives et politiques.

23Au total, c’est la population urbaine qui donne à la Libye sa note distinctive et assure principalement sa vitalité. Avant même l’accélération donnée par les nouvelles conditions de la vie économique, la population urbaine progressait beaucoup plus vite que la population totale : 68 % de 1954 à 1964, contre 43 % pour la Libye tout entière.

24Pourtant ce n’est pas en termes globaux qu’il faut concevoir la géographie de ce pays, étonnamment contrasté ! On ne s’étonnera pas de cette diversité régionale, si l’on pense que la Libye est écartelée, si l’on peut dire, sur des distances énormes : environ 1 760 000 km-, s’étendent d’est en ouest sur 1 500 km et sur plus de 1 000 km de la côte des Syrtes au Tibesti : c’est-à-dire un peu moins que l’Algérie, mais beaucoup plus que le Maroc, la Tunisie ou l’Égypte.

II. — LES REGIONS

1. La Tripolitaine.

25C’est évidemment la Tripolitaine qui est la partie la plus vivante du pays, celle autour de laquelle s’est constituée l’unité dès le temps des Karamanlis, même si, à une période récente, et provisoirement, le centre politique s’est transporté vers l’est, avec une nouvelle capitale, Bayda, fichée sur le plateau de Cyrénaïque, ceci de par la fidélité du roi Idris au lieu saint des Sanoûsî ; après la seconde guerre mondiale en effet et jusqu’en avril 1963, la vie du pays a paru devoir s’établir sur le mode fédéral, la Tripolitaine n’étant qu’une province parmi les autres : Cyrénaïque et Fezzan.

26La Tripolitaine, c’est le pays le plus varié — mais non pas au point où l’est la partie septentrionale du Maghreb. La hammada qui vers le sud, fait la jonction avec l’arrière-pays désertique, s’élève doucement vers le nord, jusqu’au point où elle est brusquement interrompue par un talus incurvé : celui-ci fortement mordu par de profonds ravins, prend son origine en territoire tunisien, au sud de Gabès et de Matmata, avant de pénétrer en Tripolitaine où il forme le djebel Nefousa, objet de la belle étude de J. Despois [51] ; il se poursuit sous des noms et d’ailleurs sous des aspects divers, liés à sa plus ou moins grande dissection : Ghariân, Tarhoûna, Msellata ; il se rapproche enfin de la côte, qu’il rejoint aux environs de Khoms. En Tunisie, ce djebel, c’est déjà une sévère steppe, heureusement aménagée par une population experte à capter les eaux de ruissellement et à retenir les sols. On a déjà l’impression d’être très loin dans le sud, et l’on s’étonne, une fois franchie la frontière, de voir le paysage s’humaniser progressivement, s’étoffer d’une végétation plus vigoureuse, où l’olivier « indigène » (et parfois de très vieux oliviers dits pharaoniques) remplace le palmier dattier. Des champs d’orge, entièrement complantés, occupent une grande partie de la surface, entre des passages rocheux. La présence du romarin et de quelques autres plantes méditerranéennes est indicative d’une transition entre le paysage de la steppe désertique et une nature qu’on s’étonne de trouver relativement clémente à cette latitude saharienne. C’est que les précipitations s’accroissent d’ouest en est le long de la crête, avec des maximas sur les points culminants par exemple entre Ghariân et Yafran, où l’hiver, la neige même n’est pas inconnue. C’est un lieu de villages, parfois partiellement troglodytiques, comme Yafran, qui domine la plaine de belle manière. On y parle encore en bonne partie berbère et l’on est ibadite, les populations berbères vivant au demeurant en symbiose avec les djebali arabophones ou sounnites.

27Naturellement, la colonisation a laissé quelques traces mais en des sites bien déterminés, notamment à Ghariân, où elle avait été installée sous la protection d’un camp militaire et surtout dans le djebel Tarhoûna et dans la plaine de Ksar : le djebel Tarhoûna, pour des raisons non imputables à la nature avait été le domaine d’un semi-nomadisme pastoral, intégré à celui de la plaine, alors que les djebels voisins, Msellata ou Ghariân pas tellement différents, étaient traditionnellement le domaine de l’oléiculture : il donnait ainsi plus facilement prise à l’implantation coloniale [48].

28Ce qui s’étend au pied du talus est tout à fait différent : c’est la plaine, la Jeffara, elle aussi continuation de la plaine qui prend origine en Tunisie. Elle aussi recevant progressivement des précipitations plus importantes (à l’exception du pied même du talus) au fur et à mesure que l’on s’avance vers l’est où la région de Tripoli reçoit plus de 300 mm. C’est une large plaine, d’environ 150 km de longueur, parfois sur 100 km de largeur, jusqu’au point où elle se trouve coincée par le rapprochement de la montagne, aux environs de Khoms. Les sols y sont fragiles, souvent encroûtés et parfois salés, notamment le long de la côte, aux environs de Zouwâra, où ils forment des sabkhas ; il y a peu d’alluvions. Aussi bien, l’usage est-il avant tout pastoral, sur des parcours réduits qui s’annexent le djebel, toujours à petite distance : c’est là que transhument les Saian, qui ont fait l’objet d’une bonne étude de J.I. Clarke [48].

29Le contraste est grand avec l’étroite bande côtière, jardin ou verger, oasis continue, où alternent palmeraies traditionnelles et plantations d’oliviers héritées de la colonisation [40]. On y trouve encore d’anciens centres de colonisation, avec école, marché, services publics, maintenant peuplés de Libyens, comme Giudayem ; mais rien de tel au-delà de Sabratha : les villages de Zawîya ou de Zouwâra, dans la zone plus sèche, sont purement libyens. Vers l’est, au-delà de Tripoli, le paysage est assez différent. Le sable se fait plus abondant autour des palmeraies. C’est là sur plus de 20 000 ha, en un lieu où l’eau était abondante et permettait une irrigation importante que s’étendait le domaine de Valdogno, propriété d’un grand capitaliste toscan, le comte Marzotto : 2 500 oliviers en faisaient la richesse, mais aussi la vigne et surtout le tabac, cultivé pour le monopole et sans limitation de surface. Les métayers, italiens, installés sur les lots (podere) avaient été remplacés par de la main-d’œuvre locale dès avant la nationalisation d’une affaire, au total, de faible rentabilité. Plus loin, ce grand domaine avait son homologue à Misourâta, dans la propriété que s’était attribuée le comte Volpi dès le moment de la « pacification ». Mais de part et d’autre du bourg de Zlitan, entre Khoms et Misourâta, c’est la palmeraie traditionnelle que l’on retrouve, sur 20 km avec un habitat dispersé dans des jardins bien arrosés et répartis en très petites propriétés.

2. La Cyrénaïque.

30La Cyrénaïque est bien différente. La plaine côtière y est de peu d’importance, soit que, entre Benghazi et Toukra elle soit encombrée de dunes et de marais, ou encore de lapiaz calcaires où s’agrippent des touffes de lentisques, soit que, très étroite, entre Apollonia et Darna, elle soit empaquetée de croûtes formées sur les conglomérats qui recouvrent le substrat calcaire. Les oueds y ont accumulé des masses énormes de matériaux roulés, emballés dans une matrice rouge. La végétation est formée de divers épineux. L’homme est pratiquement absent.

31La partie qui pourrait être vivante est le plateau qui, en deux paliers qui font la grandeur du site de Cyrène, domine de loin la mer et redescend en pente douce vers l’intérieur. Mais le paysage est souvent très nu, battu par le vent qui déforme et mutile les arbres d’un maquis répandu sur la plus grande partie de la surface du djebel septentrional cependant qu’apparaissent déjà les traits d’une végétation steppique où les épineux tiennent une place importante. Il faut quitter les hauteurs, en accédant à la plaine de Barce (Al Marj), pour trouver de meilleures conditions : un maquis méditerranéen, relativement riche, brousse à oléo-lentisque classique, avec cyste et arbousiers, est implanté sur des sols rouges, alternant avec la végétation rase de véritables causses. Parfois, comme à Taynès, l’horizon apparaît comme barré par une véritable forêt de genévriers, de pins et de cyprès, avec faux airs de cèdres. Leur importance est encore plus grande au fond étroit de quelques oueds, comme le Wadi el Kuff que l’on traverse, depuis 1971, par un très spectaculaire pont suspendu, avant d’accéder à Messa.

32L’homme, dans tout cela ? Mis à part les villes, l’éphémère colonisation italienne ne présente plus que ses tristes vestiges : fermes dégradées ou détruites, par le temps et par le tremblement de terre, centres de service abandonnés. Pourtant à Barce, la plaine, vaste dépression fermée et qui fut un fond humide comme l’indique le nom de Merj qui lui est appliqué, est entièrement défrichée, montrant une terre rouge et fine, en apparence fertile et où de fait la céréaliculture reste importante.

33Quant au plateau de Cyrénaïque, il est avant tout terre de pastoralisme ; l’épisode colonial, pendant lequel la population autochtone était refoulée ou parquée, a beaucoup moins marqué le pays qu’en Tripolitaine. La tente apparaît partout, parfois accolée à une ancienne ferme, et les troupeaux trouvent d’assez bons pâturages, notamment quand ils sont au djebel, broutant l’herbe d’un maquis très lâche, aisément pénétrable.

3. Le désert.

34La troisième région, c’est le désert. Il occupe la plus grande partie de la surface du pays.

35La Hammada pierreuse, Hammada el Hamrâ, forme tout l’arrière-pays tripolitain, avant de venir s’enfouir sous les dunes du Fezzan. Là, le désert est marqué par les grandes dépressions longitudinales, de direction est – nord-est et ouest – sud-ouest, où des nappes d’eau relativement superficielles ont permis la création d’oasis : Chatti, Sabha, Marzoûq, et près de la frontière tuniso-libyenne, Ghadâmès et Ghât [49]. Elles furent le lieu d’une vie rurale — ou semi-urbaine — fort importante ; elles jalonnaient par ailleurs des itinéraires transsahariens, débouchant sur la côte, mais ces itinéraires ne sont plus guère suivis, les échanges ayant changé de nature et les techniques traditionnelles de transport ayant pratiquement disparu. La recherche pétrolière, stimulant l’exode rural, a fait le reste : la population du Fezzan ne dépasse guère 60 000 habitants dont une partie seulement sont des cultivateurs.

36Sur le golfe des Syrtes, entre Misourâta et Benghazi, le désert accède directement à la côte, et de même, toujours en Cyrénaïque, à l’est de Bomba, où il présente dans l’aride Marmarique, un système assez monotone de cuestas, opposées au nord ; plus loin dans la région de Marsa Matrouh (Égypte), s’étend une côte basse, non attrayante. Là où la montagne s’interpose, au sud du djebel Akhdar, le désert est morcelé en bassins alluviaux, playas, comme disent les géographes. Et puis commence la nappe sableuse qui recouvre presque toute la moitié orientale du pays. Elle prend parfois l’allure d’un erg immense (calanchio) formé de dunes vives. Ce n’est qu’à Koufra, très loin dans le sud, que se manifeste l’artésianisme qui fait vivre l’oasis.

· § Voir aussi l’article de L. Talha et J.J. Régnier.

37Le paradoxe de la Libye, c’est que c’est le désert qui va lui procurer, qui lui procure des moyens de dominer pour partie ses difficultés naturelles. C’est en effet dans un vaste périmètre au sud du golfe des Syrtes, dans sa partie orientale, que sont exploités les importants gisements de pétrole qui, depuis une quinzaine d’années, ont complètement transformé l’économie du pays§. Et par voie de conséquence sa géographie. Non seulement celle de cette partie du désert, en effet pénétrée par les pétroliers et leurs installations, avec des débouchés faciles sur la côte à Es Sidar, Ras Lanouf, Marsa Brega, Zouwaytina (et même Tobrouk), mais encore celle du pays tout entier, grâce aux moyens mis soudain à la disposition de l’entreprise de développement.

III. — UN VISAGE NOUVEAU

38A vrai dire, ces conditions sont toutes nouvelles, et plusieurs des transformations qu’elles autorisent sont encore à l’état de projet. Toutefois le nombre des contrats signés et la hâte mise à les exécuter sont si grands que déjà s’ébauche un visage nouveau de la Libye qui recouvre et parfois efface celui qu’elle avait hier.

39Il a fallu, pour ce faire, l’installation d’un régime politique révolutionnaire, la nationalisation partielle des exploitations pétrolières, enfin l’établissement dès 1972 d’un premier plan triennal, prévoyant une refonte totale de l’économie du pays.

1. L’autosuffisance (Kifâya).

40L’évolution politique récente de la Libye est étudiée dans la deuxième partie de cet ouvrage. On retiendra qu’un des éléments du programme du nouveau régime est sa revendication d’une indépendance politique et militaire, mais aussi économique, la Libye s’efforçant désormais de parvenir à son autosuffisance.

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41La récupération de l’essentiel des revenus pétroliers est venue fort à point fournir, à l’appui de cette politique, des moyens très puissants : ceux-ci ne sont en rien comparables aux revenus que la Libye pouvait attendre du régime des concessions, sous lequel elle avait vécu depuis les premières découvertes pétrolières [126], même après le relèvement des prix postés à la suite des accords de Tripoli (1970-71). Quelques mois après qu’aient été signés ces accords, la nationalisation de la concession 65 détenue par B.P., puis la création de N.O.C. (National Oil Corporation) ouvraient la voie à une répartition toute nouvelle des revenus pétroliers, au bénéfice de l’État libyen.

42Ainsi, le premier plan de développement de la Libye pouvait-il recevoir d’emblée une énorme dotation d’environ 3,5 milliards de dinars libyens, ce qui donnait la possibilité de prévoir une transformation rapide et très profonde de l’économie du pays. Ce qui est original, c’est que la Libye, au contraire de ce que sont tentés de faire d’autres pays producteurs de pétrole, et aussi à la différence de ce qu’elle faisait elle-même pour l’ancien régime, n’entend par profiter de sa richesse nouvelle pour augmenter ses achats de biens de consommation.

43Le gouvernement agit en fonction de cette idée que la « vie » du pétrole est limitée. De là les deux traits majeurs de sa politique : investir aussi rapidement que possible, dans le pays, dans les secteurs productifs, agriculture, industrie, de manière à réaliser au plus tôt l’autosuffisance, et en même temps, ménager l’avenir en limitant la production du pétrole. C’est ainsi que la production pétrolière qui était de 166 millions de tonnes en 1970, est descendue à 130 millions en 1971 et à 117 en 1972, plaçant la Libye seulement au cinquième rang des puissances productrices, alors qu’elle occupait le troisième rang en 1969. Du coup, la balance commerciale s’est trouvée brusquement et très fortement déséquilibrée, du fait de la réduction des exploitations pétrolières, mais aussi, il faut le dire, du fait des importations massives de biens d’équipements : entre 1971 et 1973, la valeur des importations a plus que doublé, passant de 250 millions de dinars libyens à 339 (pour les huit premiers mois de 1973, cependant que les exportations passaient de 963 MDL en 1971 à 672, pour les huit premiers mois de 1973).

44Naturellement, les moyens financiers ne sont pas suffisants : il faut aussi des études et des hommes, des techniciens : aussi a-t-il été fait très largement appel à la coopération internationale, auprès de divers gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, ce qui sans doute explique qu’une sourdine ait été mise aux proclamations idéologiques en 1974. C’est ainsi que l’Allemagne de l’ouest, la France, la Yougoslavie, l’Italie ont été sollicitées de préparer et de livrer, clefs en mains, dans des délais très courts, des projets parfois très importants.

2. L’agriculture – Les grands projets régionaux.

45Dans le domaine agricole, il faut noter que rien, ou presque, n’a été fait pour retarder le déclin de l’agriculture et de l’élevage traditionnel, ce qui entraîne la disparition progressive des genres de vie correspondants. Les céréales en sec, le troupeau transhumant n’ont pas cessé de diminuer d’importance, et même la production oléicole, dans la mesure où elle exige l’emploi d’une main-d’œuvre abondante, devenue trop coûteuse. Et, donc, l’exode rural, provenant des couches traditionnelles du monde rural, n’a pas cessé de venir grossir les villes et leurs faubourgs.

46Par contre le gouvernement n’a pas manqué d’encourager la rénovation de l’agriculture, notamment en instaurant une politique de prix élevés à la vente de certains produits : fruits, produits maraîchers, etc. Pour sa part, il a pris localement l’initiative d’une mise en valeur utilisant des moyens de haute technicité et de faible emploi, mais il a également encouragé le secteur privé, notamment par des prêts sans intérêts de la Banque agricole.

47Aussi bien le bilan est-il considérable, en si peu de temps. Si l’élevage traditionnel est en décadence, par contre une importation massive de vaches laitières permet de constituer un élevage moderne du reste fort coûteux ; de même il est prévu que soit reconstitué un troupeau d’ovins de 800 000 têtes. Enfin l’on mise, comme en beaucoup de pays orientaux, sur la production des poulets et des œufs, en poultry farms ultra-modernes.

48Mais ce sont surtout les programmes régionaux qui doivent retenir l’attention. Portant sur 553 000 hectares, ils se répartissent entre quatre régions.

49En Jeffara, les projets de mise en valeur reposent sur une meilleure utilisation de la nappe quaternaire, à 90 m, et éventuellement sur des prélèvements dans la nappe profonde. Un grand pas serait aussi fait dans la voie de l’auto-suffisance, en matière de céréales et de viande. En même temps, un bon nombre des anciennes fermes italiennes sont reprises, mais elles sont converties en exploitations fruitières et maraîchères, que l’élévation des prix à la vente et la proximité de Tripoli rendent facilement rentables.

50Par comparaison, la situation de la Cyrénaïque reste précaire, la prospection des eaux profondes n’ayant pas donné grand résultats. Aussi bien, le traitement adopté est-il différent : ici, c’est l’État qui a pris l’initiative en employant de gros moyens mécaniques. 8 600 hectares, jusque-là incultes, ont été défrichés et mis en céréales (avec le risque que comporte l’ouverture des sols dans un pays toujours menacé par l’érosion éolienne). En même temps, 2 000 exploitations nouvelles ont été installées, et plus de 20 000 arbres plantés. Très nettement, on voudrait réussir, là où la colonisation italienne avait échoué.

51C’est à Koufra que les initiatives les plus spectaculaires ont été prises. Une deuxième oasis, à l’ouest de l’ancienne, a été créée, en utilisant l’irrigation par aspersion à l’aide de bras tournants immenses qui couvrent jusqu’à 100 hectares ! Ainsi sur 12 000 hectares jusque-là voués au désert, s’ajoutant à 60 000 hectares de mise en valeur selon des procédés classiques, s’étendent les cultures.

52Là aussi, mais d’une autre manière, on a voulu sacrifier à la stratégie d’auto-suffisance, à n’importe quel prix. Toutefois les réalisations ont été trop rapides, et les études préalables insuffisantes. C’est ainsi que plusieurs pompes sont déjà hors d’eau, parce que les puits sont trop serrés et que la circulation souterraine est trop lente et compense insuffisamment l’abaissement du niveau de la nappe.

53Enfin un gros effort a également été fait au Fezzan. Il vise à faire des oasis le lieu d’une production excédentaire de fourrages ; ceux-ci sont achetés par le gouvernement et sont livrés à l’armée, qui gère un élevage dans la région de Syrte. En même temps, l’exode rural, catastrophique, des années dernières, est freiné, à la fois par la récession de la prospection pétrolière gourmande de main-d’œuvre, et par la politique de hauts salaires instaurés sur place par le gouvernement. La réalisation d’infrastructures modernes : routes, électrification, amorcée sous l’ancien régime, contribue à combler le retard de la qualité de la vie et à rompre l’isolement des oasis.

54Ce sont là beaucoup de choses entreprises à la fois : la hâte des autorités libyennes, l’imperfection des études préliminaires sont à l’origine de quelques mécomptes et nécessitent des reprises, des rectifications. Pourtant, on est déjà loin de la politique qui visait à doter le pays de quelques prototypes, en matière de mise en valeur, tandis que le pays stagnait : ainsi le programme de Wadi Kiam (Wadi Caam), près de Misourâta, fortement financé par les Américains : lotissement de type classique, nécessitant de coûteux pompages, « bonne œuvre » finalement de peu de portée et qui a peu intéressé les bénéficiaires eux-mêmes [48].

3. L’industrie.

55La hâte n’est pas moindre en matière industrielle. Les quelques petites entreprises existant précédemment, et d’une manière générale l’artisanat, sont condamnés de la même manière que le sont tous les genres de vie et les activités traditionnelles. Par contre, 20 % des crédits inscrits au plan triennal portent ou porteront sur des équipements industriels. Pour la réalisation des projets, deux organismes nouveaux ont été crées : l’I.R.C. (Industrial Research Center) pour la réalisation des études, organisme autonome fonctionnant sous la tutelle du ministère de l’Industrie et le G.O.F.I. (General Organisation for Industrialisation) qui est à proprement parler l’instrument de réalisation du Plan. Toutefois, il ne s’ensuit pas une étatisation complète du secteur industriel : comme pour l’agriculture, le secteur privé est également encouragé par une politique de prêts très généreuse.

56Certaines réalisations relèvent plutôt d’une mise à l’échelle de productions antérieures : c’est ainsi que les cimenteries, à Khoms et à Benghazi, verront augmenter leur capacité. De même, des centrales électriques d’une puissance accrue sont en cours d’installation, en particulier à Misourâta, à l’intérieur d’un grand complexe industriel, et à Tripoli où Alsthom est en train d’installer cinq groupes de 50 mégatonnes. En même temps sont prévues de nombreuses installations de dessalement de l’eau de mer dont deux sont déjà en fonctionnement. Enfin, est prévu le développement d’industries diversifiées, assurant l’autonomie du pays en matière de produits de consommation (vêtements, chaussures, tanneries) ou d’équipement (câblerie, tubes, verrerie).

57Toutefois, selon un schéma bien connu dans divers pays sous-developpés disposant de matières premières, c’est sur la pétrochimie et sur la sidérurgie que porte l’effort principal.

58Une raffinerie de pétrole importante fonctionne déjà à Zouwâra, sur la côte, à l’ouest de Tripoli : elle est surtout destinée à satisfaire la consommation intérieure. Sa capacité sera doublée, bien que le pipe qui devait l’approvisionner en brut soit resté à l’état de projet, en raison des conditions difficiles d’exploitation des gisements de la Tripolitaine occidentale et de leur faible débit. C’est sur la côte du golfe de Syrte, à Syrte et à Marsa Brega, que seront implantées les plus grosses usines : liquéfaction des gaz de récupération, fabrication d’ammoniaque et de méthanol. Une autre raffinerie, d’une capacité de 11 millions de tonnes, est en cours d’installation à Zouwaytina, au sud de Benghazi. Enfin le débouché du pipe de Serir, à Tobrouk, sera également marqué par une grande raffinerie de 12 millions de tonnes.

59Quant au projet de la sidérurgie, il repose sur l’exploitation des minerais de Wadi Chatti, dans le Fezzan, actuellement prospectés par une société française. Le minerai, préalablement concentré sera acheminé par voie ferrée à Misourata, où fonctionnera une aciérie, prévue pour une production de 400 000 tonnes par an, par réduction directe du minerai par le gaz ; une autre usine, d’une capacité de 2 500 000 tonnes est également prévue, celle-ci fonctionnant avec des hauts fourneaux de type classique. Un port en eau profonde complètera l’ensemble.

60Ainsi la Libye, puissance économique hier encore négligeable, est-elle en passe de se classer dans un rang parmi les pays de la rive méridionale de la Méditerranée, par rapport à la Tunisie, bien sûr, mais même par rapport à l’Égypte si celle-ci, dont l’équipement actuel est loin d’être négligeable, devait être amenée à consacrer une part importante de ses ressources à son effort militaire ; et puis l’Égypte n’a pas de pétrole en abondance comme la Libye, ce qui la rend beaucoup plus dépendante. Or, c’est précisément l’auto-suffisance qui est le but de la politique économique libyenne : la Libye, quoique miraculeusement pourvue d’énergie, n’aurait jamais entrepris une rénovation de cette ampleur, s’il n’y avait eu la volonté bien arrêtée de son gouvernement d’arriver aussi rapidement que possible à son autonomie économique, complément nécessaire et garantie de son indépendance politique.

NOTES DE FIN

* Professeur à l’École Pratique des Hautes Études, Paris.

Le grand angle diplo : Pourquoi la Tunisie doit se relever ?

 

Le 17 décembre 2010, le jeune tunisien Mohammed Bouazizi s’immolait dans la ville de Sidi Bouzid, déclenchant ainsi sans le vouloir la Révolution de jasmin, la chute du dictateur Ben Ali et la transition démocratique. Cinq ans après, la Tunisie n’est pas sortie d’une zone de risques… Le grand angle diplo de François Clemenceau, rédacteur en chef au JDD.

Une nouvelle monnaie unique africaine serait la véritable cause de l’intervention française en Libye‏

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D’après les éléments trouvés dans les lettres de Hillary Clinton déclassifiées le 31 décembre, la vraie raison de l’intervention en Libye était l’or qui aurait pu empêcher les plans de Nicolas Sarkozy de répandre son influence dans la région.

La correspondance de l’ancienne secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a montré qu’en 2011, Mouammar Kadhafi possédait 143 tonnes d’or et 143 tonnes d’argent avec lesquels il souhaitait créer une nouvelle monnaie unique pour l’Afrique et fournir aux pays francophones africains «une alternative au Franc CFA».

«L’or avait été rassemblé avant la révolte actuelle et devait être utilisé pour la création d’une monnaie panafricaine basée sur le dinar libyen», lit-on dans le courriel de l’ex-secrétaire d’Etat américain.

Le courriel confidentiel d’Hillary Clinton sur les vraies raisons de l’engagement français en Libye

Au total, la valeur de ces réserves s’élevait à près de 7 milliards de dollars.

En Afrique, les zones franc constituent des espaces monétaires et économiques sur le territoire de plusieurs Etats de l’ancien empire colonial français, ainsi que du Cameroun, du Togo, de la Guinée équatoriale et de la Guinée-Bissau. Après l’accession à l’indépendance, la plupart de ces nouveaux états sont restés dans un ensemble monétaire homogène.

D’après le même document, le gouvernement de Nicolas Sarkozy craignait que cette nouvelle monnaie permettte à l’Afrique du Nord d’acquérir une indépendance économique, qui n’aurait pas fait les affaires de la la France et de toute l’Europe. Ces données du renseignement seraient l’«un des facteurs qui a forcé le président Nicolas Sarkozy à commencer l’intervention en Libye» et non pas la protection de la vie des civils, comme l’a décrit la doctrine sur la responsabilité de protéger, chère au conseiller informel de Hillary Clinton, Sidney Blumenthal.

L’intervention militaire en Libye a commencé en 2011 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies et s’est déroulée entre le 19 mars et le 31 octobre 2011 pour mettre en œuvre la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, dont le but était de «prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011) pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne». La France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada y ont pris part malgré les critiques de plusieurs pays.

La paix en Libye, une urgence

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Le pays est devenu, depuis le renversement par les Occidentaux et le Qatar de Mouammar El Gueddafi en 2011, le repère privilégié de groupes terroristes et de Daech en particulier.

L’année 2016 sera l’occasion pour les Libyens de retrouver la paix avec un gouvernement d’union et un seul ensemble  d’institutions légitimes, affirme le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Libye, Martin Kobler. Dans une lettre publiée début janvier, Martin Kobler reconnaît qu’en  dépit des difficultés vécues par les Libyens en 2015, l’année s’est néanmoins  achevée par la signature de l’accord politique libyen qui représente, a-t-il  dit, «une lueur d’espoir».

Le représentant spécial de l’ONU a effectué une visite de deux jours en Libye,  le 31 décembre et le 1er janvier, au cours de laquelle il a notamment rencontré le président du Parlement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale,  Aguila Saleh. Il a aussi discuté au téléphone avec le général Khalifa Haftar, nommé en mars dernier chef de l’armée libyenne. Lors de sa visite, M. Kobler s’est également rendu dans un camp de personnes déplacées pour écouter leurs préoccupations. Il leur a promis de faire tout  son possible afin d’assurer leur retour chez elles en 2016.

De l’avis du représentant spécial de l’ONU, la Libye a maintenant l’occasion de mettre un terme à la crise qu’elle traverse en relançant la transition vers un Etat  démocratique. En ce sens, il a appelé dans sa missive l’ensemble des Libyens à accepter l’accord politique et à appuyer le gouvernement d’union nationale, soulignant que l’accord reste ouvert à tous les Libyens qui souhaiteraient se joindre à  ceux qui l’ont déjà signé.

L’entente se fait attendre

Par ailleurs, M. Kobler a insisté sur le fait que ce processus  demeure exclusivement libyen et que l’ONU continuera d’appuyer la Libye dans sa quête vers la paix et la réconciliation nationale. «Il ne fait aucun doute que l’année à venir sera une année d’efforts, mais elle sera également une année de possibilités. Une occasion pour la Libye de retrouver la paix dans l’unité, avec un seul gouvernement d’union et un seul ensemble d’institutions légitimes», a-t-il dit. «Le plus important pour le gouvernement d’union nationale est de remédier rapidement à l’insécurité dans le pays afin de permettre à toutes les familles de rentrer chez elles et aux enfants de retourner à l’école», a-t-il conclu.

La Libye est tellement gangrenée par l’insécurité et le terrorisme qu’elle menace de déstabiliser toute la région. Le pays est même devenu le repère privilégié de groupes terroristes et de Daech en particulier. Ce dernier cherche maintenant à mettre la main sur des sites pétroliers. Daech mène d’ailleurs depuis lundi une offensive contre d’importantes installations pétrolières à Al Sedra et à Ras Lanouf.

Le groupe terroriste tente depuis plusieurs semaines une percée vers l’Est, depuis Syrte, pour atteindre la zone du «Croissant pétrolier» où sont situés les principaux terminaux pétroliers libyens. Les affrontements se poursuivaient encore hier entre Daech et les gardes des sites pétroliers, contrôlés par le gouvernement reconnu, autour du port d’Al Sedra (Nord).  Ceci pour dire que la paix en Libye doit être retrouvée de toute urgence.  

La société civile fait la fête sur le mont Chaâmbi

 

 

 

Lutte contre le terrorisme en Tunisie

La célébration du passage à 2016 sur le mont Chaâmbi a une forte portée symbolique
La célébration du passage à 2016 sur le mont Chaâmbi a une forte portée symbolique

«Le terrorisme, même pas peur». C’est sous ce slogan que des activistes dans le domaine de l’environnement, des intellectuels et des journalistes ont organisé sur le mont Chaâmbi des festivités à l’occasion du jour de l’An.

L’initiative a été lancée par l’écologiste Abdelmajid Dabbar et l’universitaire Raja Ben Slama, directrice de la Bibliothèque nationale, en signe de solidarité avec l’armée nationale, la Garde nationale, la police et les citoyens de la région. Plusieurs activistes de la société civile ont rejoint cette manifestation qui s’est tenue en collaboration avec le ministère de la Défense et les autorités régionales de Kasserine. «Il s’agit surtout d’envoyer des messages de soutien à ces sécuritaires et cette frange de la population pour qu’ils sentent qu’ils ne sont pas seuls face au terrorisme», a lancé Raja Ben Slama à l’ouverture du séminaire sur «Le terrorisme et la communication/Le terrorisme et l’environnement», qui s’est tenu en marge de cette manifestation.

La soirée du jour de l’An a été fêtée dans un camp militaire aménagé pour l’occasion, sur les hauteurs du mont Chaâmbi, à 800 mètres d’altitude, à la lumière des bougies. Des feux d’artifice ont été lancés pour accueillir le Nouvel An et l’armée a utilisé des boules thermiques pour l’éclairage. «Histoire de saper le moral des terroristes et leur dire que n’avons pas peur d’eux», lance la journaliste Essia Atrous, présente sur place. Il y avait, certes, une forte escorte. Mais les airs de fête de fin d’année étaient là comme partout dans le monde avec des feux d’artifice, des chants et des pâtisseries. Avec cette fête, c’est surtout la portée symbolique qui est là.

«Le peuple tunisien a dit non au terrorisme», a dit l’écologiste Abdelmajid Dabbar, qui s’impatiente de «revenir à Chaâmbi pour des randonnées scientifiques». Durant les journées des 30 et 31 décembre, en plus du séminaire, une série d’activités humanitaires et festives ont été organisées. Ainsi, il y avait des chants, des jeux et des marionnettes géantes pour les enfants des écoles environnantes ; des médecins ont fait partie de la manifestation à travers une caravane de santé et des aides sociales ont été distribuées par des organisations caritatives.

Autre geste très significatif : le baisemain d’une dame tunisienne à des soldats de l’armée nationale. «Mon petit geste n’est qu’un hommage à ceux qui méritent tout le respect des Tunisiens», explique Hajer Driss, qui a passé le réveillon sur le mont Chaâmbi en compagnie des héros de la Tunisie.Toutes ces activités ont été retransmises en direct par la télé nationale.

Et le sécuritaire ?

A part le côté festif, les hauteurs de Chaâmbi restent une zone à hauts risques, selon les militaires rencontrés sur place. «Les terroristes n’ont pas de campements permanents. Autrement, l’armée les aurait anéantis depuis belle lurette», explique un militaire, compagnon de fête d’une nuit. «Dès que nos patrouilles aériennes ou nos rondes terrestres détectent le moindre mouvement, la cible est systématiquement attaquée», poursuit-il.

Des informations recoupées, provenant de sources militaires et de civils rencontrés sur place, indiquent que le nombre de terroristes ne dépasserait pas la cinquantaine sur les hauteurs de Chaâmbi, qui s’étendent sur plus de 40 kilomètres, au sud de Kasserine. Les patrouilles de l’armée sont en train de reserrer l’étau autour de ces groupes. L’un des militaires confie que les terroristes rencontrent des difficultés pour se ravitailler, comme l’indiquent les razzias qu’ils ne cessent de faire sur les maisons avoisinantes.

Les informations sur les descentes des terroristes des maquis comme les monts de Salloum, Mghilaou Ouergha, traduisent l’affaiblissement du soutien logistique dont ils bénéficient. «Mais, cela ne veut nullement dire que le risque terroriste est devenu plus faible», avertit notre interlocuteur. «Rejetés par les populations, les terroristes sont en train de changer de tactique, en s’attaquant à certains symboles de l’autorité publique ou en essayant de porter des coups à l’économie», poursuit ce soldat, qui s’est avéré un bon analyste politique.

Un terroriste abattu à Siliana

Un terroriste, probablement de nationalité étrangère, a été abattu par les forces de l’ordre dans le nord-ouest de la Tunisie, a annoncé le ministère tunisien de l’Intérieur.

«Les unités de la Garde nationale ont pu mener cette nuit, après avoir tendu une embuscade, une opération entre le mont Serj et le mont Ballouta dans le gouvernorat de Siliana», a indiqué dimanche le porte-parole du ministère, Walid Louguini, à la radio Mosaïque FM.

«Les forces de l’ordre ont pu abattre un élément terroriste qui serait, selon les constats préliminaires, de nationalité étrangère», a-t-il poursuivi,  précisant qu’une kalachnikov, une grenade et un engin explosif avaient été saisis.

La Tunisie fait face, depuis sa révolution en janvier 2011, à un essor de la nébuleuse terroriste qui a coûté la vie à des dizaines de policiers et de   militaires. Daech a revendiqué les trois attentats majeurs   ayant frappé le pays en 2015.

Le dernier, le 24 novembre, a tué 12 agents de la Garde présidentielle à Tunis. Soixante personnes, dont 59 touristes étrangers,   avaient également été tuées lors des attaques perpétrées en mars au musée du  Bardo et dans un hôtel près de Sousse fin juin dernier. R. I.

Les richesses de l’Afrique pays par pays

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Découvrez ci-dessus la carte des richesses africaines pays par pays. L’Afrique est classé continent le plus pauvre du monde, et si son développement se fait encore très lentement, c’est certainement que l’on le souhaite, pour notre confort. 

Au lieu d’offrir de l’aide, pourquoi ne pas payer un prix équitable ?

 

Libye : La Tunisie se contentera d’un seul consulat général

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La Tunisie n’ouvre pour le moment qu’un seul consulat général en Libye couvrant l’ensemble du territoire où résident près de 150 000 ressortissants tunisiens. Quant au consulat général de Tunisie à Benghazi, sa réouverture sera envisagée dans une étape ultérieure, apprend Leaders de source diplomatique.

A la tête du consulat général à Tripoli avait été nommé en juillet dernier, Taoufik Guesmi (ancien directeur général de la Sécurité présidentielle), avec provisoirement résidence au siège du ministère des Affaires étrangères à Tunis. Aussi, et afin de facilité l’accès de la communauté tunisienne en Libye aux services consulaires, une antenne a été ouverte au poste frontalier tunisien terrestre de Ras Jedir. Par ailleurs, des agents consulaires sont dépêchés en Libye selon les circonstances.

A noter que Sami Sik Salem, ancien conseiller principal à la Présidence de la République chargé des questions sécuritaires, qui avait été nommé consul général à Benghazi aurait décliné sa désignation.

 

 

 

Riyad sort le sabre pour mater les chiites et défier l’EI

 

Des manifestants iraniens incendient une partie de l'ambassade saoudienne à Téhéran, le 2 janvier 2016 Photo MOHAMMADREZA NADIMI. AFP
Des manifestants iraniens incendient une partie de l’ambassade saoudienne à Téhéran, le 2 janvier 2016  /   Photo MOHAMMADREZA NADIMI. AFP

L’Arabie Saoudite a fait exécuter 47 personnes, dont un cheikh chiite. Des Iraniens ont incendié, samedi, son ambassade à Téhéran en représailles. Dimanche soir, l’Arabie Saoudite a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Téhéran.

Avec 47 personnes décapitées ou fusillées le même jour dans douze villes du Royaume et le choix de mêler des terroristes sunnites d’Al-Qaeda avec des opposants chiites, les dirigeants saoudiens ont organisé la plus grande exécution de masse dans ce pays depuis 1980 et choisi de défier Téhéran, le protecteur traditionnel des minorités chiites dans le monde musulman. Si la plupart des suppliciés étaient des activistes présumés d’Al-Qaeda, quatre d’entre eux étaient des opposants chiites, dont une figure religieuse, cheikh Nimr al-Nimr, l’un des principaux adversaires politiques du régime wahhabite. L’annonce de sa mort a aussitôt enflammé les communautés chiites du monde musulman, tandis qu’en Iran l’ambassade saoudienne à Téhéran et le consulat à Mashhad (est du pays) étaient brûlés par des manifestants et que chef suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, cité par la télévision nationale, promettait une«punition divine» aux dirigeants saoudiens pour avoir «versé injustement le sang d’un martyr opprimé».

Pourquoi des exécutions aussi massives à ce moment ?

Visiblement, c’est l’heure des faucons en Arabie Saoudite. Les autorités du royaume mènent une politique de rupture avec celle, souvent jugée hésitante et pusillanime, que suivait le vieux roi Abdallah, décédé l’an dernier. Si le pouvoir est toujours nominalement entre les mains d’un monarque âgé et malade, le roi Salmane, c’est son fils Mohammed ben Salmane, à la fois prince héritier, conseiller spécial du roi, chef du cabinet royal et surtout ministre de la Défense qui incarne cette politique de rupture où il joue son avenir. C’est bien lui l’homme fort du royaume. On l’a vu quand il a décidé en mars de mettre sur pied une coalition sunnite arabe pour mener la guerre au Yémen aux côtés des forces loyalistes contre la rébellion houthie (une secte d’inspiration chiite soutenue par Téhéran) et l’a empêchée de se saisir de l’ensemble du pays. Il a récidivé le mois dernier en annonçant la formation d’une «coalition antiterroriste» de 34 pays à majorité sunnite, visiblement pour faire taire les critiques selon lesquelles l’Arabie saoudite, chef de file du monde musulman, ne faisait pas assez, hormis sur son territoire, contre les jihadistes. Autre tenant de cette ligne de faucons, le second prince héritier, Mohammed ben Nayef, qui est aussi son rival dans la course à la succession.

Or, pour la dynastie régnante, Al-Qaeda mais aussi l’Etat islamique sont des menaces existentielles. L’un et l’autre veulent renverser la dynastie des Saoud et, pour la seconde organisation jihadiste, s’emparer de La Mecque et Médine, les deux villes les plus sacrées de l’islam. «Nous arrivons» est d’ailleurs le mot d’ordre lancé par l’EI à l’intention des dirigeants saoudiens. C’est donc une guerre à mort que le régime a lancé sur son territoire contre Al-Qaeda et l’EI, d’autant plus qu’il partage avec eux un socle idéologique commun : l’islam rigoriste et puritain salafiste. Face à Al-Qaeda, Riyad a largement gagné la bataille avec une répression intense, qui obligé l’organisation à se réfugier au Yémen où elle a d’ailleurs fusionné avec la branche yéménite pour devenir l’Aqpa (Al-Qaeda dans la péninsule Arabique). A présent, c’est l’EI qui a pris la relève à coups d’attentats qui visent principalement les lieux de culte chiites.

Pourquoi avoir exécuté l’imam chiite au risque de susciter la colère de Téhéran ?

Pour Riyad, la seconde menace majeure est représentée par Téhéran, en particulier depuis l’accord sur le nucléaire, qui, s’il entre en application, va mettre fin à son isolement diplomatique et économique, et lui permettre de recouvrer des milliards de dollars provenant de ses avoirs gelés. Plus que la bombe, le régime saoudien craint que les nouvelles capacités financières de l’Iran servent ses visées hégémoniques et contribuent à ce qui est sa hantise, l’encerclement du royaume. On peut d’ailleurs remarquer que c’est au lendemain de l’échec des pourparlers de paix de Genève sur le Yémen que les exécutions ont eu lieu, les Saoudiens estimant que la trêve sur le terrain a été utilisée par les rebelles houthis et leurs alliés pour renforcer leurs positions.

La décision de Riyad de faire exécuter, en même temps que les 43 activistes d’Al-Qaeda, l’imam Nimr al-Nimr et trois autres opposants chiites – accusés d’avoir ouvert le feu sur des policiers -, obéit a deux objectifs : Le premier est de bloquer tout rapprochement entre sunnites et chiites qui pourrait intervenir dans le cadre de la lutte contre l’EI, que se soit en Syrie, en Irak ou au Yémen. Le second est de montrer à l’ensemble du monde sunnite qu’il n’est pas moins radical que l’Etat islamique à l’encontre des chiites et qu’il ne tolérera de leur part aucune opposition. L’imam Nimr al-Nimr apparaît dès lors comme une victime de la concurrence idéologique que le régime livre à ses adversaires sunnites.

L’exécution des opposants chiites va-t-elle exacerber encore le conflit sunnites-chiites ?

Sans aucun doute. Déjà, des affrontements violents se sont produits à Bahreïn, où cheikh Nimr était vénéré par la communauté chiite majoritaire, en particulier de la jeunesse qui appréciait ses attaques virulentes contre le pouvoir saoudien. Au Liban, Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, parti qui est à l’origine de la reprise de la confrontation entre chiites et sunnites avec l’attentat de février 2005 contre l’ex-premier ministre sunnite Rafic Hariri, a jugé que l’exécution du cheikh Nimr «dévoilait le vrai visage de l’Arabie saoudite, le visage despotique, criminel et terroriste».

En Irak, la réaction de l’ayatollah Ali Sistani, qui appartient au courant chiite quiétiste, était particulièrement attendue. «Le versement de leur sang pur, y compris celui du cheikh Nimr, est une injustice et une agression», a-t-il déclaré en leur conférant le statut de martyrs. D’autres personnalités chiites irakiennes ont été beaucoup plus radicales. L’influent chef chiite irakien Moqtada al-Sadr a qualifié l’exécution du cheikh Nimr d’«horrible attaque» contre les chiites. Plus radical encore, Mohammed Taqi al-Moudarressi, un autre chef religieux basé dans la ville sainte chiite de Kerbala a parlé d’une«déclaration de guerre contre tous les musulmans». Dans un communiqué, le ministère irakien des Affaires étrangères a été aussi particulièrement ferme, accusant l’Arabie saoudite d’utiliser la guerre contre le«terrorisme» comme un prétexte pour museler ses opposants. «Exécuter un homme de religion et un opposant pacifique, tout en fermant les yeux sur […] des religieux soutenant les terroristes avec de l’argent et des armes, est une discrimination sectaire flagrante», a-t-il ajouté.

L’exécution de Nimr al-Nimr va-t-elle provoquer une escalade entre l’Iran et l’Arabie saoudite ?

C’est peu probable, même si la réaction de l’ayatollah Khamenei est particulièrement sévère à l’encontre des dirigeants saoudiens accusés d’avoir fait exécuter un défenseur de la minorité chiite (environ 20 % de la population) marginalisée. «Ce penseur opprimé n’a jamais invité le peuple à prendre les armes ni été impliqué dans des complots secrets», peut-on lire sur son site web. On peut y voir aussi l’image d’un Janus en bourreau, un visage représentant l’EI, l’autre le pouvoir saoudien, dont la main gauche égorge au couteau et la droite décapite au sabre un otage, avec cette légende : «Quelles différences ?»

Les gardiens de la révolution prédisent, eux, qu’«une dure revanche» renversera le «le régime proterroriste et anti-islamique»saoudien. Mais à côté de cette ligne révolutionnaire du régime, et qui semble avoir incité, ou au moins inspiré les manifestants qui ont brûlé samedi soir l’ambassade et le consulat saoudiens, on voit aussi apparaître celle du président Hassan Rohani qui cherche à calmer les tensions. Incarnant l’Etat iranien, et tout en condamnant l’exécution du prélat chiite, il a jugé«totalement injustifiables» les attaques menées samedi soir contre les deux enceintes diplomatiques de l’Arabie Saoudite qui, a-t-il insisté, «doivent être légalement et religieusement sous la protection de la République islamique». Dimanche soir, l’Arabie Saoudite a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec Téhéran. La crise entre les deux principales puissances du Golfe persique ne devrait pas déboucher sur une confrontation directe mais elle risque d’aggraver encore la guerre par procuration qu’elles se livrent. Là encore, c’est le Yémen, où la coalition conduite par Riyad semble enlisée, qui retient l’attention. On prête déjà aux gardiens de la révolution iraniens de vouloir transformer ce malheureux pays en piège pour l’armée saoudienne.

Quelles seront les conséquences de ces exécutions pour l’Etat islamique ?

Même si Riyad, en faisant exécuter les activistes d’Al-Qaeda, a montré qu’il serait impitoyable envers ceux qui agissent contre la sécurité du royaume, cela ne présage pas pour autant d’un engagement plus important dans sa lutte contre l’EI ou Al-Qaeda à l’extérieur. En fait, les dirigeants saoudiens ont bien d’autres priorités : contenir l’Iran, faire chuter Bachar al-Assad, reprendre Sanaa à la rébellion houthie. C’est vrai aussi pour Téhéran dont les combats prioritaires visent à maintenir le régime syrien au pouvoir, à conforter sa mainmise sur l’Irak et renforcer sa domination sur la région. Reste que la donne a changé dans la région. Ce n’est plus aujourd’hui seulement Téhéran qui montre ses muscles. Riyad, aussi, exhibe les siens. Et elle ose le faire sans l’appui des Etats-Unis, qui ont condamné les exécutions.

La Libye moderne

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1Note portant sur l’auteur*

2Les Libyens et les Libyennes d’aujourd’hui jouissent d’un État national indépendant, d’une Constitution, d’une administration ; ils jouent un rôle politique et économique reconnu dans les instances internationales ; ils possèdent des ressources énergétiques et financières immenses ; ils ont créé des sociétés nationales de gestion, des Facultés, des Instituts, une législation du travail et de la sécurité sociale ; ils acquièrent un équipement spectaculaire (autoroutes, avions supersoniques, armements, buildings…) ; ils ont des projets d’avant-garde en cours de réalisation (pampa dans le désert de Marmarique, agriculture planifiée et mécanisée, dessalement de l’eau de mer grâce à des réacteurs nucléaires…) ; ils ne manquent ni de télévision en couleur ni de la plupart des gadgets occidentaux au moment où ceux-ci sont en vogue (minicassettes, perruques…), etc.

3Il s’agit bien là de traits caractéristiques de la civilisation dite moderne. Mais va-t-on se contenter de les dénombrer et de les décrire pour en conclure d’emblée que la Libye est « un pays moderne » ? On tentera plutôt d’approfondir la question en évoquant la genèse et l’évolution des problèmes de la modernisation que la société libyenne a vécus et vit encore. On

découvrira par la même occasion qu’une traditionnalisation va de pair, jusqu’à un certain point, avec toute modernisation.

4Baudrillard (Encyclopedia Universalis) estime que la modernité est un mode de civilisation caractéristique qui par définition s’oppose ou mode de la tradition, qu’il rejette comme un passé révolu. D’après lui, cette modernité s’est imposée dans l’histoire comme une, homogène, irradiant mondialement à partir de l’Occident, face à la diversité des cultures traditionnelles. Issue partout de bouleversements profonds de l’organisation économique et sociale, elle connote des ruptures diverses, une évolution historique, un changement dans la mentalité. Marquée dans ses origines européennes par la foi en une loi du progrès linéaire de l’esprit humain (qui se fonde sur des découvertes déjà anciennes de la science et sur leurs applications technologiques ultérieures), la modernité se caractériserait aussi par une tonalité bourgeoise libérale, du fait de sa double relation avec, d’une part, le système de l’État démocratique et bureaucratique centralisé et, d’autre part, avec le système économique qui a engendré d’abord la révolution industrielle puis la civilisation de consommation et de loisir. Inextricablement mythe et réalité, la modernité se spécifierait ainsi non seulement comme une idéologie du mieux-être mais comme une sorte de catégorie générale et d’impératif culturel dans tous les domaines : État moderne, technique moderne, art moderne, mœurs modernes, confort moderne…

5Ceci étant, la modernité détruit tout autant qu’elle construit car elle s’accompagne obligatoirement d’une destructuration de toutes les valeurs anciennes d’une société, étant elle-même

le symptôme d’une crise de structure et faisant de cette crise même une valeur, puisqu’elle en arrive à préconiser le changement pour le changement.

6Cependant, la modernité n’assurerait aucun dépassement des valeurs anciennes et nouvelles confrontées. Devenue de nos jours en Occident, selon Apter, la « tradition du nouveau », elle tendrait dans les pays du Tiers-Monde, selon Baudrillard encore, à plutôt combiner les valeurs anciennes et nouvelles dans l’ambiguïté d’un amalgame, d’un compromis… mais ceci sans perdre nulle part de son dynamisme d’idée-force et d’idéologie maîtresse.

7La Libye contemporaine se dit moderne et se veut moderne, comme le prouve la fréquence de l’adjectif « hadîth » dans le langage des Libyens. Essayons donc de discerner de quelle façon, dans quelle mesure et grâce à quels agents les Libyens ont été touchés par la modernité. Les dates proposées ci-dessous délimitent des étapes possibles dans l’histoire de la modernité en Libye, avec des acquisitions, des ruptures et des continuités.

8En 1830 par exemple, la société libyenne (qui ne se pense pas encore en termes de « libyanité » puisque le mot « Libia » repris à l’antiquité grecque sera un nom de baptême colonial italien) s’intègre encore entièrement dans l’un de ces modes de civilisation qui deviendront « traditionnels » à partir du moment où ils seront désignés ainsi par les adeptes de la modernité.

9Qu’est-ce à dire ? Qu’à cette époque, la population vit encore dans un système non européen mais cohérent et relativement équilibré ; qu’elle tire sa subsistance de sa propre production

économique agricole, pastorale et artisanale ; qu’elle commerce principalement par voie caravanière ou par cabotage avec les pays limitrophes ou le Moyen-Orient ; que les tribus, les confréries, les villes et les villages maintiennent les traditions patriarcales ainsi que des relations politiques et confessionnelles volontiers autonomistes ; que la civilisation arabo-musulmane sert de cadre de référence commun à des populations diversifiées quelque peu par la langue (arabe, berbère, tebou, turc), les rites religieux (sounnite, ibadite, israélite) et les coutumes ; que les grands pôles de diffusion de la culture écrite et de la formation de l’élite (ou des fonctionnaires, cadis, lettrés, imams et notables) sont les universités islamiques de la Zitouna à Tunis et d’el-Azhar au Caire ainsi que les villes de Damas, de Médine et de La Mecque… et bien plus encore « Asitané », c’est-à-dire Istanbul car la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan sont alors administrés selon les principes anciens du régime ottoman au Maghreb [23].

10L’activité des corsaires tripolitains est en réduction. Pas de bateaux marchands libyens non plus dans les ports européens. Les échanges commerciaux avec l’Occident ont heu dans quelques ports du pays : Tripoli et accessoirement Misourâta, Benghazi et Darna, qui sont fréquentés par des marchands français, anglais et italiens venant de Gênes, Livourne, Naples, Marseille ou Londres. Une tension politique réelle existe avec l’Europe à cause de la guerre faite aux corsaires et à la traite d’esclaves.

11A cette époque donc, la civilisation moderne européenne semble extérieure à la société libyenne. Et pourtant, certaines

conditions de l’émergence d’agents culturels, politiques et économiques pouvant favoriser une pénétration occidentale future sont déjà réunies. En même temps, des structures d’accueil locales se préparent, comme on va le voir.

12Car dans les faits, en 1830, l’influence politique des consuls européens de Tripoli pèse déjà davantage sur le devenir du pays que le pouvoir du Pacha lui-même. Des manœuvres navales d’intimidation et plusieurs bombardements de la ville y ont aidé ainsi d’ailleurs que la diplomatie européenne au service de l’expansion économique du monde occidental qui s’industrialise. Cela a abouti au traité franco-tripolain signé cette année-là par lequel le Pacha renonce complètement, définitivement, à l’activité des corsaires libyens, tout en s’engageant par la même occasion à abolir l’esclavage chrétien ; il perd ainsi ces sources de revenus naguère importantes pour l’État qu’étaient les butins de la course et les rachats des captifs. En même temps, il s’engage à payer des indemnités aux Français et à rembourser leurs prêts aux Anglais. C’est la voie sûre vers l’endettement public progressif et ce processus de pression économique est classique de la part des Européens ainsi que ses résultats : les dettes tariront les réserves et la population sera pressurée d’impôts ; l’inflation gagnera ; la monnaie sera altérée ; la révolte populaire — ce sera celle de Ghouma en 1855-1858 — éclatera… Mais outre cela, les puissances étrangères acquièrent le droit d’établir des consuls et des agents dans n’importe quel endroit de la « Régence » et sans avoir à verser de redevances ; c’est aussi le consul de France par exemple qui dicte au Pacha la réglementation des pratiques douanières

dans les ports, et les taux qu’il fixe sont particulièrement bas (3 %). C’est le Pacha qui écrit au consul de Sardaigne que les établissements européens « fécondent » le commerce de Tripoli et qu’il a pour guides d’action « l’humanité, l’aide du commerce et la loyauté envers les nations chrétiennes ». Il est évident que les idées, considérées alors comme modernes, de libre commerce, d’ouverture au marché occidental, et même des buts humanitaires comme la protection des chrétiens et des israélites, vont de pair avec une organisation précoloniale qui va ôter progressivement aux autochtones la maîtrise de leur destin économique et politique, grâce à l’utilisation de moyens qui seront repris plus tard avec plus d’envergure : guerre, droit, profit, gestion et — comme on va le voir aussi — culture, information et idéologie.

13En effet, la culture universaliste, surtout française, qui se répand alors dans le monde à la suite des guerres napoléoniennes, a atteint quelque peu Tripoli, notamment grâce à des journaux étrangers qui circulent dans les légations ; un bulletin périodique local (manuscrit) paraît même en français sous un titre arabe : c’est al-Mounaqqib (L’investigateur), par lequel le consulat de France diffuse des informations de style européen [122, 71bis]. Parmi les Libyens, quelques voyageurs revenus d’Europe ont fait des récits de leurs souvenirs. Quelques familles musulmanes ou israélites de Tripoli mêlées aux intérêts des milieux du commerce, du pouvoir local ou des consulats, ont appris à parler la langue française (dans une école ? avec des précepteurs ? par la pratique ?) et ont ainsi connaissance des valeurs, du prestige et de la force de la civilisation moderne

européenne. C’est aussi à travers les publications et les informations en provenance des pays du Moyen-Orient, déjà plus atteints par la modernisation, que certains Libyens découvrent un modèle à suivre peut-être, dans les idées de progrès, de démocratie et de liberté individuelle qu’elles véhiculent.

14On voit ainsi les amorces de plusieurs sortes de discontinuités possibles et l’ambiguïté foncière que recèlent des expressions comme « l’ouverture à » et « la pénétration de ». Ce devrait être une question de choix et d’équilibre mais en réalité l’élément de contrainte étrangère a fait son apparition. Un éventail de réactions diverses va donc se déployer dans les consciences d’un certain nombre de Libyens, devant le caractère insolite de changements potentiels. Car on commence à dire communément par exemple de quelqu’un qui fait l’important : « Tgansal », c’est-à-dire « il fait le consul ». La volonté de puissance, l’esprit de lucre et les idées modernes des Européens provoquent tantôt une adhésion partielle (lorsqu’il existe un espoir de transfert positif), tantôt, à cause de l’altérité flagrante des civilisations en présence et du nouveau rapport de forces qui se devine et que l’on appréhende, une recherche d’adaptation astucieuse ou de dédoublement de la personnalité ; ou bien alors, la modernité provoque un rejet pur et simple, soit dans des attitudes d’indifférence ou de résistance passive, soit dans une résistance active ou dans l’organisation de révoltes.

15En 1880, la situation n’est plus la même. La Libye a maintenant perdu sa relative autonomie politique à la suite de l’abdication du Pacha, obtenue par ses opposants locaux en

1833 en accord avec les consuls. C’est à nouveau le régime ottoman d’Istanbul qui a imposé à la suite d’une dure guerre de reconquête sa domination directe sur le pays entier. La population vit dans un contexte de dépendance politique et d’insécurité : opérations militaires, oppressions fiscales, révoltes, précarité de l’agriculture, décadence du commerce caravanier avec le sud sont rendues plus graves par le climat de menaces généralisées qui pèse alors sur le monde musulman tout entier, notamment dans les Balkans et aux confins mêmes du pays, en Algérie, en Tunisie, au Sahara, en Égypte.

16A commencé en 1843 un mouvement d’émigration sous la forme de départs multiples de réfugiés vers la Tunisie et l’Égypte, pour échapper à la guerre ottomane. Ces Libyens-là seront témoins des premiers effets de la colonisation modernisante et de ce qu’ils signifient pour les populations locales qui les subissent.

17Mais en fait, l’on constate que la politique du pouvoir ottoman dans les provinces libyennes ne se démarque guère de celle des colonisateurs européens, à ceci près qui est très important — que le cadre de référence commun demeure la civilisation musulmane, modernisée ou non, et qu’un effort défensif est tenté pour opposer un barrage aux progrès du commerce occidental par des mesures de boycott et d’interdiction, tout en favorisant au contraire un accroissement des échanges avec Malte, la Tunisie et le Moyen-Orient.

18Des changements structurels indirectement inspirés de l’exemple européen sont introduits cependant dans le pays par ce relais ottoman. Car dans tout l’empire le mouvement des

« Jeunes Turcs » a d’ores et déjà adopté certaines valeurs de la modernité et fait pression sur le pouvoir central pour occidentaliser des institutions musulmanes devenues à leurs yeux « traditionnelles », en les réformant dans le sens du libéralisme. L’on assiste donc en Libye aussi à une réorganisation qui vise à centraliser et uniformiser l’administration, notamment par un découpage du territoire en provinces, ce qui met fin au système antérieur d’administrations locales respectueuses de la diversité des coutumes et des autonomies.

19Dans la lancée de la puissante diffusion du droit français à cette époque à travers le monde, apparaissent des tribunaux civils, pénaux et commerciaux, ce qui tend à confiner les compétences du droit et des tribunaux islamiques au statut personnel et aux questions religieuses malgré les protestations des Oulémas (Docteurs de l’Islam) et de la population qui les suit. Sont institués de la même façon — mais jusqu’à quel point d’application ? — l’état civil, le cadastre et le service militaire. Une notion moderne de l’État s’amorce donc, avec un rôle et un pouvoir de contrôle renforcés, au bénéfice des Ottomans.

20Dans le domaine économique, les Européens n’ont pas pour autant perdu tous leurs atouts. Au contraire, la parité entre les représentants européens et les représentants locaux est par exemple acquise au Tribunal de Commerce, sous la présidence d’un représentant du pouvoir ottoman. Par l’effet de la même impulsion ottomane, l’axe principal du commerce se déplace petit à petit des voies intérieures du pays vers le trafic maritime ou côtier ; les communications modernes qui

favorisent l’information et les échanges commerciaux s’organisent : un service postal est créé, le courrier est acheminé par bateau à vapeur, un câble télégraphique sous-marin relie Tripoli à l’Europe via Malte, une ligne télégraphique fonctionne entre Tripoli et Khoms. En vue d’une éventuelle exploitation des matières premières, une série d’explorations scientifiques réalisées par des sociétés de géographie européennes permettent la prospection de minerais, par ordre ou sous couvert du gouvernement ottoman. L’on découvre ainsi du charbon, de l’argent, de la craie ; quelques contrats de mise en valeur sont engagés. Dans le secteur agricole, la culture de l’olivier est encouragée en vue d’une production d’huile.

21Sur le plan culturel, des innovations touchent quelque peu l’enseignement, au moins à Tripoli, ce qui n’entraîne nullement la disparition de l’enseignement existant (fondé sur l’étude en arabe des bases religieuses et juridiques, de la culture écrite littéraire et de rudiments de mathématiques) mais contribue à le démarquer comme un enseignement traditionnel. En 1853 sont créées sur le modèle de ce qui se fait à Istanbul et ailleurs dans l’empire, les premières écoles secondaires où seront étudiées en plus de l’arabe la langue officielle : le turc, les langues européennes et les matières modernes : histoire, géographie, sciences. La voie est ainsi ouverte à la vulgarisation scientifique — non pas à la recherche. En 1879 débute l’enseignement technique, dans une École Islamique des Arts et Métiers.

22La médecine nouvelle fait également son apparition : on construit un hôpital militaire et une station sanitaire de la

douane où elle est appliquée. Quant aux officiers de l’armée, ils sont formés selon la méthode allemande et l’artillerie de la forteresse de Tripoli sort des usines Krupp.

23Le matériel d’une imprimerie typographique en caractères arabes a été lui aussi importé et depuis 1866, conformément aux instructions d’Istanbul à l’échelle de toutes les provinces de l’empire, paraît un journal officieux :Tarâboulous al-Gharb (Tripoli de l’Ouest), hebdomadaire bilingue (turc-arabe). Il favorise une formation de journalistes à l’occidentale, ou plus exactement à la façon des journalistes moyen-orientaux déjà occidentalisés chez eux [22, 71 bis]. Une expression parallèle et moderne de l’opinion publique et du pouvoir politique par la voie des mass media est ainsi en germe. De plus, le pays servant alors de lieu de déportation des opposants au régime ottoman, les contacts de ceux-ci avec les Libyens suscitent un brassage idéologique qui draine — sans doute plutôt dans les milieux urbains — leurs idées modernisantes de progrès, de justice, de liberté, d’égalité ; de nationalisme, de constitutionnalisme, de parlementarisme ; d’instruction obligatoire, d’évolution des femmes, d’émancipation des jeunes gens, etc. Ces idées-là viennent d’Europe occidentale. Mais les exilés répandent aussi celles du panislamisme, du réformisme religieux musulman, du renouveau arabe (culturel et nationaliste) qui sont des idées moyen-orientales tout imprégnées également de modernité, à travers une querelle de l’Ancien (al-qadîm) contre le Nouveau (al-jadîd), et de l’émergence du changement contre l’immuable.

24Cependant, une ambiguïté de base se crée à partir du moment où les esprits déterminent une répartition arbitraire de la modernité et de la tradition entre « l’Occident progressiste et dynamique » et « l’Orient stagnant en tous points ». Car la civilisation occidentale n’est pas homogène elle non plus. Et s’il existe en « Orient » un net refus de rompre totalement avec les données spécifiques de la civilisation arabo-musulmane, ce n’est pas nécessairement par conservatisme ou esprit réactionnaire mais parce que beaucoup d’esprits désirent au contraire faire œuvre personnelle — et modernisante — en revitalisant et rénovant ces données, sans se confiner dans l’emprunt et la copie. Chaque groupe dès lors à Tripoli ou dans les principaux centres actifs du pays dispose d’éléments pour discuter des choix à opérer dans les habitudes ou les nouveautés, et de la manière de s’engager dans des rejets ou des conciliations. La confrérie Sanoûsîe, quant à elle, a choisi le refus de l’action des Infidèles et même de celle des Turcs dans la mesure où ceux-ci ont adopté les mêmes façons et buts. Elle a préféré développer en Cyrénaïque et au Sahara une organisation particulariste qui assure à son réseau, avec les moyens précaires que fournit le pays, un pouvoir solide fondé sur une autogestion économique, une solidarité politique et sociale, une idéologie mystique étayée par une pratique quotidienne complète. Cependant, il ne s’agit pas là de modernisme mais plutôt d’une renaissance à l’échelle d’une micro-société traditionaliste.

25Dans la période qui va de 1880 à 1911, la modernisation progresse. Mais dans quelles conditions ? Au profit, au détriment de qui ?

26En fait, l’initiative en ce domaine est presque toujours accaparée par des étrangers, Ottomans ou Européens, puisqu’aussi bien ce sont eux qui continuent à détenir le pouvoir politico-économique. Comme ils œuvrent largement à leur propre profit ou à celui de leurs contrées d’origine, ils détournent de la population les effets que l’on attendrait du progrès. Ils ne sont pas, bien sûr, dépourvus d’alliés ou d’intermédiaires locaux parmi lesquels il faut compter sans doute, comme ailleurs, des propriétaires fonciers, des notables et des membres de communautés minoritaires (Israélites, Grecs, Maltais, etc.). Mais la grande majorité des Libyens reste en dehors du mouvement, spectatrice du phénomène ou parfois comparse quand elle n’en est pas la victime. Ce danger latent lui paraît moins menaçant que l’occupation et la domination coloniales qui ont été instaurées dans les pays voisins. Pourtant les Français bloquent déjà directement au Sahara le commerce caravanier fezzanais ou sanousî. Et les Libyens ont accueilli 250 000 réfugiés tunisiens après la débâcle de leur pays en 1881-1883 [23].

27Mais au cours des vingt dernières années du siècle, la puissance ottomane décline. C’est maintenant la tutelle des « Grandes Puissances » européennes qui se renforce mondialement par le jeu combiné du droit international et de leurs empiètements de toutes sortes dans les affaires de populations non occidentales qui ne sont pas consultées. Ainsi, en 1886, c’est par un accord entre puissances

européennes que des zones d’influence sont partagées entre elles à partir de cartes géographiques, notamment au Sahara libyen, et que sont délimitées des frontières territoriales là où il n’y avait eu jusqu’alors que des confins perméables aux populations riveraines. Celles-ci en seront fortement gênées par la suite dans leurs projets et leurs mouvements.

28Dans les règlements de comptes qui opposent les Européens entre eux au sujet de la « Régence tripolitaine », ce sont les Français et les Anglais qui l’emportent, au cours des années 1880 à 1885, dans une première phase dite, à l’époque, de pénétration pacifique — autrement dit d’accaparement économique. Cela se fait par des moyens « modernes » en train de devenir « traditionnels » pour l’Europe, tels que l’investissement de capitaux, comme c’est le cas par la fondation à Tripoli en 1880 d’une succursale de la Société de Banque française des Comptoirs maritimes de Tunis ; ou l’instauration de communications rapides — télégraphiques — avec Tunis colonisée ; ou encore l’exportation vers la Libye de marchandises ou de biens d’équipement répondant aux nouveaux besoins créés, comme c’est le cas pour une presse hydraulique à alfa qui fut installée en 1881 par une compagnie anglaise.

29Et certes le volume global des échanges maritimes double en un quart de siècle. Mais au profit des étrangers car la croissance des importations libyenne est plus forte que celle des exportations. Si ce défaut de la balance commerciale n’en est pas à son début, il ne sera cependant jamais plus enrayé jusqu’en 1963.

30Voici, pour 1886, la provenance de la majorité des importations : 1/4 vient de l’Angleterre (surtout constitué par des tissus), 1/9 de la France, 1/9 de la Tunisie, 1/9 de l’Italie. Cette influence économique est suscitée et entretenue par des contacts personnels sur place ; quelques Libyens sont aussi aidés à accomplir des voyages d’études ou des stages de formation en Europe ; des écoles françaises se sont ouvertes à Tripoli.

31Or, pendant ce temps-là en Italie, les Italiens éprouvent la fièvre de la montée d’un impérialisme [41] qui se fonde sur une forte croissance démographique, sur un besoin d’expansion des capitaux et de débouchés pour les produits industriels, enfin sur les progrès de la marine marchande à vapeur. Aussi le commerce entre l’Italie et l’Empire ottoman — auquel la Libye est intégrée — augmente-t-il de plus de 150 % entre 1896 et 1906 ; en 1900, le tonnage italien pour la Libye est devenu deux fois plus important que celui des Anglais et quatre fois plus que celui des Français. Dès que le traité franco-italien de 1900 aura laissé à l’Italie seule l’initiative de l’exploitation de la Libye, en compensation de désistements en Tunisie et ailleurs, le mouvement de main-mise italienne sur le pays s’accélère et en 1907, les intérêts italiens supplantent tous les autres : ils atteignent 45 % du total dans la compétition économique.

32Les Libyens ne sont pour rien dans l’avenir qui se prépare. Quant au programme ottoman (1902) de « pénétration africaine » par le sud de la Libye, il est vidé d’avenir dès sa conception puisqu’à un bout de la chaîne commerciale, sur la côte, ce sont les Italiens qui mènent le jeu, tandis qu’à l’autre

bout, celui du commerce traditionnel de l’intérieur, le trafic caravanier du Fezzan est bloqué et en pleine décadence. En effet, les exportations libyennes de plumes d’autruche et d’ivoire ont baissé. Mais on exporte encore de l’alfa (surtout) et, en 1890 notamment, des éponges, du bétail, du henné, de la laine, des œufs, de l’huile d’olive et des agrumes, tous produits du nord. Sont importés par contre des farines, des tissus filés de coton brut, du café Rio, des épices, des soieries, des cordages, des allumettes, des meubles, du papier, de la porcelaine, des poteries et… du pétrole [23].

33Ce sont maintenant les Italiens qui organisent sur place un service postal entre Tripoli et Benghazi, qui renforcent leur réseau consulaire, qui créent des écoles, tenues par des religieux chrétiens (mais quels sont les élèves de ces écoles européennes ?). Des banques italiennes comme la Société Commerciale d’Orient et la Société Générale Exportatrice de Milan opèrent en Libye ou y fondent des agences. Le Banco di Roma, alimenté par le capital catholique, joue un rôle de premier plan dans l’organisation des lignes de navigation subventionnées par l’État italien [41]. Il fonde une filiale à Tripoli en 1907. Son chiffre d’affaires avec la Libye atteint 45 millions de lires, outre 5 millions de lires d’investissements, entre 1908 et 1911. Un service de cabotage est alors organisé entre Tripoli et Misourâta et des industries agricoles (olivier ? tabac ? amandier ?) sont encouragées.

34Le programme du gouvernement italien est de faire passer aux mains italiennes toutes les concessions importantes et de développer des intérêts matériels qui engageront l’avenir. Les socialistes italiens se prononcent pour un « impérialisme

national et prolétaire », estimant qu’un usage avisé du capital et du travail pourra dériver vers Tripoli une partie de l’émigration italienne [41].

35On installe à Tripoli la première imprimerie en caractères latins en 1908. Naît en 1909 une presse colonialiste de langue italienne dont les journalistes sont des immigrés ; ils polémiquent sur la politique locale et générale et font circuler des informations économiques utiles [122, 71 bis]. Les titres et les tendances de leurs journaux rappellent ceux que l’on trouve ailleurs à l’époque : Il Giornale di Tripoli, L’Eco di Tripoli, L’Economista, La Stella d’Oriente, Il Progresso et sont peut-être des indices de relations politico-économiques transnationales.

36Mais bien que les Européens soient fort actifs, la présence effective de leur communauté n’est pas encore sensible dans le pays. En 1905, Tripoli compte 612 Italiens, et 819 seulement en 1911, alors que la population libyenne s’élève à cette époque à environ 800 000 personnes (et probablement davantage car le recensement ottoman qui a eu lieu n’a pu être réalisé dans certaines contrées intérieures).

37Nous ne savons pas qui, ni combien parmi les Libyens des villes, des tribus ou des confréries, tirent profit des prémices de la modernisation à la veille de la conquête coloniale. En tous cas le commerce fezzanais est ruiné… Les attitudes vis-à-vis des Ottomans sont mitigées. Le poids des impôts, la rigueur du pouvoir militaire qui seconde l’administration, les empiètements sur l’autorité politique traditionnelle des notables entraînent des oppositions dans l’intérieur aux oppressions et répressions subies. Toutefois, tous les

musulmans s’accordent alors dans la conscience du développement du danger européen.

38Lorsqu’en 1908 la victoire politique d’un « Parti de l’Unité et du Progrès » porte les « Jeunes Turcs » au pouvoir à Istanbul, ceux-ci instaurent dans l’empire un régime qui entend s’inspirer du libéralisme et instituent un parlement élu, une Constitution, les libertés publiques et notamment la liberté de la presse. Ce changement trouve aussitôt un écho en Libye où les structures d’accueil sont déjà prêtes : même le gouverneur de Tripoli fait partie des « Jeunes Turcs », auxquels se sont joints de « Jeunes Libyens », à l’instar de ce qui se passe alors dans la plupart des pays musulmans et notamment en Tunisie.

39Le nouveau régime est aussitôt appliqué en Libye. Plusieurs élections sont organisées et des députés autochtones sont élus. Une floraison de journaux privés de langue arabe donne aux Tripolitains l’occasion d’exprimer des opinions diverses, personnelles ou populaires. Selon une bonne formule adaptée aux moyens et aux besoins du pays, une série d’hebdomadaires paraissent en se relayant chaque jour de la semaine pour ne pas laisser les lecteurs à court d’informations et de commentaires. Ces journaux ont pour titres at-Taraqqi (Le Progrès), al-‘Asr al-jadîd (L’Ere nouvelle), ar-Raqîb (L’Observateur), etc. ; Tamîm-i-Hürriyet (La Liberté pour tous) est rédigé en turc [122, 71 bis]. Ces journaux politiques aux moyens modestes, qui attirent à leurs rédacteurs des ennuis, se lancent eux aussi dans l’analyse polémique et dénoncent à leurs compatriotes les manœuvres économiques et politiques dont ils sont l’enjeu, sans délaisser les questions

de culture, de langue, de religion ou de vulgarisation scientifique.

40Il est temps que l’on sache que pas plus en Libye qu’en Tunisie certains esprits n’ont attendu la colonisation pour s’ouvrir aux valeurs nouvelles de la démocratie libérale et de la modernité — ou pour les expérimenter. Mais naturellement, ils espéraient jouir eux-mêmes de plein droit des avantages qu’elles impliquaient.

41C’est ce droit qui leur fut dénié dans la colonisation directe européenne.

42En 1911, la guerre italienne, guerre capitaliste financée par les industries d’armement [41], a pour objectifs la conquête militaire, l’occupation et l’exploitation du territoire libyen, et pour alibi une mission civilisatrice modernisante. La supériorité technique est du côté des Italiens ; pour la première fois dans l’histoire mondiale, l’aviation est utilisée pour des bombardements. Mais, on l’a vu par ailleurs dans ce livre, la résistance très active des Libyens contraint néanmoins les assaillants à se retirer des positions intérieures qu’ils ont acquises en un premier assaut et les confine dans un petit secteur côtier autour de Tripoli. Comme l’armée ottomane est bloquée, la plupart des Libyens conaissent donc à cette époque une indépendance de fait. Mais leurs moyens sont précaires et l’approvisionnement en armes difficile. Et c’est encore par un accord international entre grandes puissances que le pouvoir politique en Libye est ôté aux Ottomans pour être attribué aux Italiens. Quant à la convention qui met fin à l’obédience spirituelle du califat ottoman, il s’agit-là d’une première intervention directe des Italiens dans le statut propre aux

musulmans. Or ces deux dispositions ont pour conséquence d’instituer une coupure dans une continuité culturelle séculaire. Par la volonté d’un colonisateur chrétien, c’est le califat, assise fondamentale de la civilisation musulmane, qui se trouve rejeté en Libye dans un passé révolu ou discrédité. Et les obstacles qui seront opposés aux déplacements locaux et aux relations extérieures des Libyens, allant de pair avec l’introduction de modèles culturels italiens, les détourneront dans une certaine mesure des sources habituelles de leur culture et de leur formation, aggravant l’analphabétisme ou le créant même lorsqu’il y aura conflit aigu. En fait, à partir de ce moment, c’est tout ce qui est musulman qui deviendra susceptible d’être assimilé par principe à la tradition, tandis que tout ce qui sera italien le sera a priori à la modernité. Le tour occidental est joué. L’aliénation devient possible.

43Si l’on s’en tient aux faits établis, la dépossession terrienne des Libyens en Tripolitaine va de pair avec la préparation d’une colonisation agricole par et pour des Italiens. Celle-ci est fondée sur deux bases : un décret de 1913 instituant pour eux des droits fonciers et la création sur place, en 1914, d’un Office agricole gouvernemental. En 1918, l’on dénombre 80 000 soldats italiens dans la région. En 1921, le gouverneur Volpi, un financier de formation, décide de mettre « rationnellement » en valeur les ressources tripolitaines, c’est-à-dire d’établir des programmes à l’occidentale : la construction d’un chemin de fer qui relie Tripoli à Zouwâra rend par exemple dès 1920 le drainage économique de cette région plus aisé.

44Mais l’insécurité règne pour les colonisateurs. Aussi se proposent-ils d’instituer un protectorat plus libéral que le protectorat tunisien ; ils octroient par exemple une citoyenneté aux Libyens. Mais leurs projets seront peu ou non appliqués : les institutions parlementaires par lesquelles ils comptent rallier les notables ne fonctionnent pas. La presse libyenne est réduite, censurée, tandis que se développe au contraire un secteur de presse italien [22, 71 bis].

45Dans l’intérieur du pays cependant, les chefs locaux et les groupements politiques mènent une activité politique et militaire autonome, n’ayant que de rares relations avec l’occupant. Toutefois, une nouvelle tournure de l’avenir des Libyens se prépare encore une fois en dehors d’eux.

46En effet, en 1922, l’avènement du fascisme mussolinien correspond à un essor de l’industrie italienne. Celle-ci a un besoin accru de matières premières et de débouchés. La croissance démographique fait toujours problème. L’idéologie fasciste de puissance et de domination va jouer à plein contre les Libyens : ils entrent dans une nouvelle guerre de conquête et de dépossession qui va durer dix ans.

47Comme l’a remarqué l’un des conquérants, la ligne de démarcation entre les territoires libyens libres et les territoires contrôlés au fur et à mesure de l’avance des Italiens, départage dorénavant deux domaines économiquement différents et bientôt franchement inégaux dans leurs conditions de vie [41]. C’est là l’origine des secteurs économiques dits « traditionnel » ou « moderne ». En effet, les résistants subissent un véritable blocus économique rendu plus efficace par la mobilité des 30 000 soldats qui leur font la guerre en utilisant

systématiquement les transports automobiles de troupes et d’artillerie. Les Libyens auxquels, entre parenthèses, des marchands italiens ont en 1930 également fourni des armes [18 bis], reculent en combattant ou bien entreprennent de grandes migrations vers le désert ou bien encore partent en exode vers les divers pays musulmans. Certains sont enrôlés dans l’armée italienne. La répression de l’insoumission est très dure. Des tribus entières sont déportées ou parquées dans des camps de concentration, femmes et enfants étant séparés des hommes. Les biens des résistants sont confisqués, leurs centres culturels fermés. Aussi n’est-il pas étonnant qu’en 1934 la population libyenne ait diminué de 13 % par rapport à celle de 1911. Quant à la Cyrénaïque, elle est à son tour ruinée dans sa principale ressource : les neuf dixièmes de son cheptel disparaissent.

48Certes le pays se modernise malgré cela d’une certaine façon. Il commence à porter le nom unique de « Libye » qu’il se reconnaît depuis. L’État devient l’instance suprême et l’administration est unifiée, centralisée ; la Libye est même intégrée à un vaste empire au sein duquel son statut et son rang sont définis par la dénomination de « quatrième rivage de l’Italie » ! Mais les Libyens y sont réduits au niveau anthropologique selon l’expression de A. Laroui (Histoire du Maghreb, Essai de synthèse, Maspéro 1970). La dépossession de leurs biens, l’obligation de l’impôt, l’abolition des droits politiques, l’abrogation de la citoyenneté libyenne, l’institution par décret de la ségrégation raciale, la relégation dans les emplois subalternes ou les travaux de manœuvre journalier chez les colons ou dans les travaux publics, tout cela ne laisse

qu’à une poignée d’entre eux le loisir d’une acculturation mineure en italien qui les conduit à une assimilation relative, soit par le travail, soit par la conscription, soit par l’école primaire. A Benghazi ou à Tripoli, quelques-uns s’essaient aux activités fascistes, syndicalo-corporatives, théâtrales ou journalistiques, dans un cadre officieux et conformiste. Ce sont là des effets de la politique officielle de la « conquête des âmes », une conquête qui profite grandement à l’érudition orientaliste et à la propagande mussolinienne. Or, en 1943, l’on comptera pour toute la Libye une vingtaine de bacheliers et deux ou trois avocats libyens. Tous les autres « cadres » sont italiens.

49Dans ces conditions — le gouvernement italien ayant tous les pouvoirs et les Libyens aucun — la voie est libre pour une vaste planification d’État destinée à vaincre l’adversité tenace que cause la pauvreté économique des deux pays : Italie et Libye. Les schémas élaborés en fonction des problèmes socio-économiques qui se posent en Italie vont imposer dans de vastes régions libyennes des transformations qui ont peu à voir avec les habitudes ou les besoins des Libyens. Le paysage lui-même, par sa distribution et sa production nouvelles, par l’habitat, l’architecture, etc., est italianisé dans la mesure même où une population étrangère est importée — cette fois en masse — avec sa langue, ses structures, son idéologie, ses coutumes, ses techniques, ses goûts et ses finalités.

50L’opération de la mise en place d’une infrastructure modernisante a lieu d’abord en Tripolitaine, puis en Cyrénaïque. L’effort est toujours principalement agricole et la planification est l’œuvre d’Instituts et d’Offices

gouvernementaux ; car finalement le capital privé italien participe peu aux investissements et c’est l’État qui est dans l’obligation de pallier à ces insuffisances pour réaliser ses projets.

51En Tripolitaine, dans les régions côtières de Tarhouna et de la Jeffara, l’on distribue en 1923 à des colons recrutés en Italie ou en Tunisie les terres confisquées aux résistants. En 1928, 90 000 hectares sont ainsi concédés pour 90 ans (ce seront 148 000 hectares en 1940). Les bénéficiaires reçoivent des aides pour les constructions, l’équipement, l’aménagement, les logements, les plantations et l’élevage ; ceci aboutit à une orientation nouvelle de l’agriculture, surtout par l’implantation de vignes, en plus d’arbres fruitiers divers (oliviers, amandiers, etc.).

52Le plan de colonisation de la Cyrénaïque de 1932 prévoit la mise en valeur d’un million d’hectares grâce à un peuplement paysan en provenance des Pouilles, de la Sicile et de la Sardaigne. Des lots sont attribués aux Anciens Combattants des guerres coloniales et aux Chemises Noires. Des fermes sont implantées au Djebel Akhdar en alignements stratégiques protégés par des fortins.

53La production de céréales atteint en 1939 915 000 quintaux (d’orge surtout, de blé et de maïs en faible quantité). Le cheptel est alors numériquement reconstitué mais des bovins en constituent maintenant un élément.

54La population italienne compte 120 000 habitants en 1937 ; 40 000 d’entre eux vivent à Tripoli et 14 000 à Benghazi. D’énormes cathédrales ont été édifiées pour eux dans ces

villes où, dès 1912, avait été constitué un vicariat apostolique. Beaucoup de villages ont des églises.

55En ce qui concerne les travaux publics, le réseau des communications a été étendu : il existe alors 5 200 km de routes — et notamment une route littorale de 2 000 km qui relie la Tunisie à l’Égypte — et 398 km de voies ferrées. En plus d’aérodromes.

56Mais dans le domaine industriel on en est toujours aux efforts de prospection minière. Ceux-ci sont réalisés avec des capitaux d’État investis dans des sociétés publiques ou privées. Peu de gens sont au courant de l’existence de pétrole dans le sous-sol libyen et l’on manque de moyens pour forer. Le projet de commercialisation des minerais en est resté au stade des foires d’échantillons comme au temps des Ottomans.

57Ceci étant, la modernisation économique très relative de la Libye coûte incomparablement plus cher aux Italiens et surtout aux Libyens qu’elle ne rapporte. Pourquoi ? L’on peut mettre en ligne de compte les appétits coloniaux démesurés par rapport aux possibilités du pays ; le fait aussi que les charges soient publiques et que les quelques bénéfices aillent au secteur privé. L’archaïsme des objectifs a également été mis en cause parce qu’ils correspondent avec un demi-siècle de décalage à ceux de la colonisation algérienne. Quant à la modernité des moyens techniques, elle ne doit pas camoufler non plus les aspects traditionnalistes de la société italienne et son assentiment à la ségrégation culturelle et raciale. Dans toutes ces conditions, comment espérer obtenir une participation active d’une population de base qui n’y trouve aucun intérêt, bien au contraire ?

58Malgré les calculs — ou à cause d’eux — une somme énorme d’efforts, de luttes et de souffrances se solde ainsi par un déficit perpétuel de la balance commerciale et du crédit politique de l’opération.

59Mais voici que du fait de l’alliance du colonisateur avec l’Allemagne hitlérienne, les Libyens vont subir une guerre de plus, de 1940 à 1943. Elle est cette fois d’envergure mondiale puisqu’elle oppose sur leur territoire les armées des « Alliés » à celles de l’ « Axe ». Pour ce nouveau règlement de compte occidental l’on débarque un matériel ultra-moderne : artillerie à longue portée, avions et tanks de combat, mines, carburant, etc., tout est importé en plus de centaines de milliers de soldats (l’Italie seule en a envoyé 200 000 en 1940). Et comme on peut s’y attendre, il y a des Libyens enrôlés aussi bien dans l’armée italienne que dans l’armée anglaise. La tactique de la guerre de mouvement qui aboutit à ce que Benghazi par exemple soit six fois prise et reprise, ruine à nouveau la Libye « utile », fait rapatrier en Italie des dizaines de milliers de colons, disperse une fois de plus bon nombre de Libyens dans les déserts ou dans les pays voisins et en pousse beaucoup d’autres vers les villes. La disette accentue la misère déjà grande. C’est à cette époque que celle-ci atteint son fond car le niveau de vie des Libyens est devenu le plus bas du monde… A la fin des opérations militaires, des carcasses d’engins, visibles encore partout en 1970, jonchent les sables et il n’est pas rare, en 1974, que des bergers sautent sur d’anciennes mines enfouies. Quant aux chemins de fer, les voilà désaffectés.

60Mais en 1943 le pays entre dans une période de paix dont il jouit depuis. Il n’en reste pas moins soumis à une dépendance administrative militaire peu créatrice. Le sort des Libyens n’est une fois de plus pas réglé sur place. Il relève cette fois de l’O.N.U. nouvelle instance somitale qui émane du droit international occidental. Pour traiter le problème libyen, on y confronte des formules institutionnelles diverses qui ont été déjà expérimentées ailleurs, afin de choisir celle qui sera appliquée à la Libye. Les Italiens, qui ont toujours voix au chapitre, et les Soviétiques, qui l’ont à présent aussi, proposent une « tutelle » italienne, c’est-à-dire un protectorat comme ceux de l’Afrique du Nord, tandis que les Anglo-Saxons et la France se prononcent pour un « mandat » selon le modèle qui justement prend fin au Moyen-Orient. Qu’en pensent les Libyens ?

61L’administration militaire britannique ayant encouragé sur place un retour à la démocratie formelle, des journaux contrôlés reparaissent, en arabe, en italien, mais aussi — nouveauté — en anglais. A Benghazi comme à Tripoli [122, 71 bis], l’on assiste grâce à cela à une floraison d’hebdomadaires qui expriment en langue arabe une opinion publique libyenne, unie par l’objectif nationaliste de l’indépendance mais divisée sur le modèle des institutions qu’elle réclame. Deux conceptions principales s’affrontent : celle du mouvement sanoûsî qui espère un État dynastique, mené par des chefs spirituels autant que temporels et gouverné selon des principes musulmans qui n’excluent pas les relations de hiérarchie et d’obédience propres aux confréries ; et d’autre part celle de beaucoup de citadins, en

majorité tripolitains, qui désirent une république moderne, c’est-à-dire démocratique et libérale, respectueuse de l’Islam mais inspirée directement du modèle occidental ; en somme celle que réclament aussi par exemple les Tunisiens en lutte à la même époque.

62Cependant le facteur déterminant du choix politique échappe totalement aux Libyens car il est économique et dépend d’un avenir à mettre en œuvre avec des objectifs et des moyens qui les dépassent. Il s’agit en effet de l’exploitation du pétrole, source d’énergie qui s’est révélée décisive au cours de la guerre mondiale et que les milieux d’affaires internationaux ont choisie pour alimenter la croissance économique souhaitée de l’Occident. Sans que leurs plans soient ébruités, les pressions que ces milieux exercent sur les hommes politiques aboutissent à l’élaboration pour la Libye d’un régime qui ressemble en tout point à ceux qu’octroient les nations fortes aux nations « jeunes » qui se forment : inspiré des États modernes indépendants dans la forme juridique, il restera dépendant dans les faits. Représentant un compromis entre la formule sanoûsîe et la formule instaurée par les Anglais en Irak et en Jordanie, l’État libyen est conçu comme obligatoirement « modéré », c’est-à-dire affaibli. Monarchique alors qu’il n’y a jamais eu de roi en Libye, fédéral, pluripartite, pauvre donc maniable, il ne pourra subsister sans les subventions et l’aide technique des Occidentaux ; en retour il pourvoira ceux-ci de facilités et de privilèges qui remettront en question toute autonomie réelle ; la location pour vingt ans de bases stratégiques importantes aux Anglais, aux Américains — et aux Français jusqu’en 1955 au Fezzan — en est un bon

exemple. Elle réduit à peu de choses la maîtrise de la souveraineté.

63De plus, une indépendance formelle est de nature à mettre fin à la situation juridiquement complexe de la Libye qui entrave les transactions politico-financières importantes nécessaires au développement de l’action des sociétés bancaires ou pétrolières. Désormais, c’est un État « libre et indépendant » mais téléguidé qui endossera la responsabilité de l’évolution de la politique suivie. Un tel État est destiné à être l’alibi du néo-colonialisme.

64A l’heure donc où la Libye se trouve théoriquement en puissance de devenir l’un des fournisseurs d’une source d’énergie vitale pour le monde moderne, les Libyens vont-ils avoir une quelconque possibilité de s’assurer le contrôle et les bénéfices de cette fourniture et d’accéder par leurs propres forces aux progrès que la richesse et la modernisation sont censées engendrer ? Selon l’habitude paternaliste ceci n’est prévu qu’à longue échéance et dans le cadre d’une formation, d’une acculturation largement en harmonie avec les valeurs, les besoins et la production de l’Occident anglo-saxon. La rupture avec l’acculturation italienne est nette. Et il n’y a guère d’acculturation en français.

65Mais pendant ce temps, les « hommes libres » (ahrâr) de Libye, c’est-à-dire les libéraux, réalisent avec satisfaction un vieux rêve politique de leur congrès national : ils se donnent une Assemblée constituante puis un Destour, autrement dit une Constitution. Le 25 décembre 1951, ils atteignent le but « suprême » des nationalistes de l’époque : l’Indépendance. Cinq ans avant le Maroc et la Tunisie, onze ans avant l’Algérie.

Pourtant, dès l’année suivante, le modèle du socialisme nassérien vient concurrencer par ses idées de révolution populaire et de décolonisation économique, modernisantes elles aussi, le régime patriarcal sanoûsî établi.

66Ce n’est pas que la population dans son ensemble soit aveugle aux réalités économiques. Comment le serait-elle alors qu’elle les subit tous les jours ? Mais elle est mal informée et de toute façon elle n’a pas les moyens d’agir. La distance est énorme entre le progrès et la modernisation tels qu’elle les conçoit (en termes d’eau et d’électricité, de marches et de routes, d’écoles et de médecins, et bien sûr aussi de stabilité du revenu) et les problèmes effectifs que posent en Libye la dispersion humaine et la précarité des ressources ordinaires, aggravés par l’héritage structurel de plusieurs colonisations et de coutumes désadaptées. Il faut un espoir quelconque de pouvoir défendre des intérêts reconnus pour que se crée une volonté d’agir.

67Il y a donc, après l’indépendance, un rapport de forces qui se perpétuedans la domination du sort des Libyens par des non-Libyens, même si quelques citoyens arrivent à tirer profit de la conjoncture nouvelle par des compromis politiques, financiers ou culturels.

68Le moteur initial du changement décisif qui va se produire est constitué par le grand capital occidental et la technicité « d’avant-garde » appliquée non plus cette fois au secteur agricole mais à la prospection et à l’exploitation du pétrole.

69On peut distinguer trois phases dans l’accession de la population libyenne elle-même à la modernité : l’une va de

1955 à 1963, la seconde de 1963 à 1969, la troisième est en cours.

70Vers 1955, la remise en train du pays est peu perceptible. Il demeure une région totalement méconnue du reste du monde — sauf peut-être des Algériens en lutte que vont accueillir et aider ces voisins encore pauvres. Aides et subventions étrangères permettent à la population un regain dans la vie quotidienne et le relèvement de quelques ruines. De nombreuses fermes italiennes sont désaffectées, leurs habitants les ayant quittées pour l’Italie ou pour les grandes villes de Libye où ils s’activent dans le secteur tertiaire. Les Libyens n’occupent pas volontiers ces fermes qui ne correspondent pas à leurs us et coutumes, la ségrégation ayant empêché toute assimilation des ruraux.

71La coopération technique et culturelle qui s’instaure entre le gouvernement libyen et les envoyés de l’O.N.U., de la F.A.O., de l’U.N.E.S.C.O., du British Council, de la B.I.R.D., du B.I.T., du Peace Corps et des consortiums pétroliers, aborde maintenant les problèmes en suspens en termes internationaux de sous-développement, sans s’appesantir sur les responsabilités et les évolutions historiques. Les critères sont importés. Les modèles et schémas qui sont appliqués à l’enseignement, l’administration, la santé — en attendant la production et surtout le travail — sont préfabriqués.

72Rappelons que le mouvement général s’engrène par la création de banques privées, totalement ou partiellement étrangères [Mantran, 8]. Il en existe deux en 1951 et huit en 1956. Mais de cette année-là date aussi la fondation de la Banque de Libye : c’est une première tentative nationale d’une

politique monétaire qui n’en reste pas moins complètement dépendante du marché de la livre anglaise.

73Les investissements de capitaux préludent ou font suite à la loi de 1955 sur les pétroles, qui fixe la constitution et la répartition des concessions pétrolières entre diverses sociétés américaines, anglaises ou multinationales dans des conditions établies par elles : elles sont pour elles les plus avantageuses du monde, en dépit de la qualité exceptionnelle du produit et de la proximité des gisements par rapport à la côte. Le pétrole est entièrement destiné à l’exportation et l’État libyen ne doit percevoir que des redevances. La finalité de l’opération est donc extérieure et ce ne sont que des retombées financières qui sont destinées aux Libyens en dehors du travail de main-d’œuvre que quelques-uns d’entre eux fournissent au désert ou dans les ports.

74Or c’est parce que ce travail-là est salarié et qu’il est introduit dans une société rurale où l’on est encore généralement rétribué en nature que va s’enclencher une mobilisation tout à fait nouvelle dans les profondeurs mêmes de la population, par l’ouverture qu’il crée à des besoins nouveaux, à partir de comportements, d’objets et de conceptions importés. Cette mobilisation initiale que l’on appelle en arabe « tahrîk as-sawâkin » est l’étape indispensable pour échapper à l’emprise des fixations de la tradition mais elle est aussi créatrice, dans ces conditions d’emprunt, d’une inéluctable discontinuité intérieure. Dans les esprits, le cours du temps commence à s’organiser autrement, tout au moins en deçà de la vie éternelle ; l’appréhension de l’avenir change sous l’effet de l’espoir du gain et de l’idée —

folle jusque-là — que l’on va peut-être échapper à la pauvreté et même avec un peu de chance, devenir riche.

75Mais les difficultés sont immédiates. Dépourvus d’une formation professionnelle adéquate, les Libyens ne sont toujours employés que comme manœuvres et pour le temps d’un chantier ; c’est aux étrangers que vont les emplois fixes ou intéressants. Eux-mêmes, sitôt le chantier terminé, se retrouvent sans travail. Beaucoup refusent cependant de reprendre leur mode de vie antérieur et vont tenter leur chance dans les villes-champignons créatrices en principe d’emplois. Rapidement, ils deviennent des sous-prolétaires. Naissent les bidonvilles et les malaises fondamentaux d’une société en voie de modernisation. La seule véritable production libyenne : agriculture et élevage, perd des bras en nombre croissant et ce sont les hommes qui quittent la terre, laissant derrière eux femmes, vieillards et enfants qui subsistent à la mesure de leurs propres forces, avec l’aide sporadique des salaires envoyés.

76Tout alors semble devoir se résoudre en ayant recours à l’importation. Importer quoi ? L’équipement, les experts et les travailleurs qualifiés nécessaires à l’exploitation et à la gestion des concessions pétrolières d’abord. Mais les méthodes de travail aussi de ce fait : découpage de la journée en horaires, division des tâches, savoir-faire, outillage et mécanisation, vêtements spécifiques ; hiérarchie et discipline des équipes ; utilisation de la langue anglaise ; normes de l’embauche, de la rétribution, du licenciement, etc.

77Une formation scolaire préparatoire à l’intégration des Libyens dans le secteur moderne devient nécessaire et va

effectivement se développer car l’instruction et même l’éducation traditionnelles sont maintenant tout à fait en porte-à-faux. Cependant, en 1955-56, il n’y a encore que 2 560 jeunes gens et 25 jeunes filles qui ont dépassé l’école primaire. C’est pourtant alors que l’on crée, sous l’égide anglo-saxonne mais surtout britannique, l’Université libyenne, avec 31 étudiants — seulement en lettres — (en attendant que les autres Facultés soient créées : sciences économiques et commerce en 1957 ; sciences exactes en 1957 également ; droit en 1962 ; agriculture en 1966 ; technologie, pédagogie en 1967. Après le changement de régime : médecine en 1970, en même temps qu’est intégrée l’Université islamique dont nous parlons ci-dessous, à l’Université libyenne ; pétrologie et minéralogie en 1972).

78Quelques lycéens, en plus de jeunes gens formés sur le tas, vont se perfectionner à l’étranger, généralement dans des pays où l’on enseigne en anglais puisque l’étude de cette langue figure dans les programmes scolaires à partir des deux dernières années du degré primaire, et qu’elle est utilisée largement sinon exclusivement pour l’enseignement ultérieur des disciplines de sciences exactes ou de technique. Ce faisant, ce sont autant de jeunes gens soustraits en principe, par la même occasion, à l’attrait de l’arabisme et des universités de l’Égypte nassérienne ou de la Syrie ba’thiste et marxisante. Peine quelque peu perdue car les étudiants libyens suivent de près l’évolution politique contemporaine du monde arabo-musulman, avec ses théories modernes nationalistes, réformistes ou révolutionnaires nourries par les conflits et les graves problèmes de la décolonisation de la Palestine et des

partages sans fin du monde en zones d’influences politico-économiques. Ceux qui rentrent en Libye — s’ils rentrent — après leurs stages ou leurs études, sont à la fois au fait des analyses et des comportements occidentaux et aptes à faciliter de futures relations culturelles et économiques entre la Libye et les pays où ils ont reçu leur formation.

79La confrérie sanoûsîe qui incarne alors le pouvoir musulman, suit une évolution parallèle à celle de quelques représentants de grandes familles : ses notables prennent de l’importance politique avec l’assentiment des étrangers qui s’avèrent en cette circonstance parfaitement traditionnalistes. Elle aussi utilise les moyens modernes pour donner forme à quelques-uns de ses projets. Ainsi, en 1955, elle fonde sa propre Université qu’elle intitule l’Université islamique Mouhammad ben ‘Ali-as-Sanoûsî, du nom du fondateur du mouvement. On doit y répandre et y approfondir les connaissances et les pratiques religieuses fondamentales de la confrérie, en les fondant sur l’Islam et en y incluant quelques éléments d’enseignement moderne. En somme, il s’agit d’une variante de l’enseignement libre musulman qui se développe depuis 1930 dans les pays colonisés du Maghreb.

80Par la suite, la Sanoûsîya reconstituera aussi un important réseau de relations extérieures islamiques.

811959-1963 : c’est l’époque où même la tradition de pauvreté absolue des Libyens semble devoir être un jour révolue ; leur espoir d’être riches se mue en effet en certitude entre 1959, année où les premiers barils de pétrole extrait donnent droit à des « royalties » et 1963, année où le budget

de l’État atteint pour la première fois depuis plus d’un siècle, un équilibre entre les recettes et les dépenses.

821963-1969 : le budget libyen est devenu non seulement excédentaire mais comparable à celui des États arabes les plus riches de la planète. Les Libyens, maintenus jusque-là dans l’ombre par leurs protecteurs, vont peu à peu émerger à la surface du monde contemporain grâce à leur argent.

83Néanmoins cette richesse extraite de comptes en banque n’a que peu de rapports avec la force de travail de la population. On assiste à la naissance d’un circuit de l’argent, en masse toujours croissante, qui, à partir des sociétés pétrolières passe d’une part à l’État, d’autre part à une partie de la population (qui crée dans les formes traditionnelles en régime capitaliste un marché commercial appuyé sur les importations, l’utilisation d’intermédiaires et la spéculation financière, immobilière)… et enfin seulement aux travailleurs manuels dont les salaires restent bas. Les Libyens voient aussi dans la fonction publique l’une des meilleures garanties de la dignité et de la sécurité professionnelles. Ils s’y font recruter en nombre même lorsque leur manque de formation spécialisée et parfois leur analphabétisme réduisent leur activité à une simple présence. Il se crée donc rapidement une société de consommation et de loisirs qui ne passe pas par un stade d’industrialisation et qui se caractérise par la faiblesse du travail productif et une différenciation croissante des niveaux de vie à laquelle nous reviendrons plus tard.

84En fait, la majeure partie des dépenses, des investissements et des redevances des sociétés étrangères reviennent à celles-ci ou passent à leurs pays d’origine par le biais du paiement

des équipements, des services et des objets importés en Libye. Ce qui fait que, de 1963 à 1969, le pays s’appauvrit à la source même de ses richesses [Talha, 8] ; en effet la production agricole et les exportations nationales autres que le pétrole ont très rapidement décru : l’alimentation — on cite jusqu’au persil — le ciment, les meubles, les tissus, les transistors et bientôt tous les gadgets que peuvent produire l’Occident et le Japon, sont achetés au dehors au prix fort. Rien de ce que fabriquent les Libyens ne paraît plus bon en comparaison.

85Une forte occidentalisation culturelle va de pair avec cette mobilisation économique. Car pour accéder au secteur moderne libyen en voie de création par le biais de l’enseignement, des affaires, des ministères, etc., il faut dorénavant savoir lire, écrire et parler l’anglais en toutes circonstances. L’ère d’un bilinguisme déséquilibrant est ouverte. Les magasins libyens, les bâtiments des grandes villes se couvrent d’inscriptions en caractères latins. Les documents commerciaux, les cartes de travail et même les cartes d’identité doivent comporter un texte anglais (la question de faire apprendre l’arabe par les étrangers ne se posant pas, a priori). Les Libyens seraient alors en droit de demander pour combien de temps le texte anglais sera considéré comme nécessaire aussi — parce qu’il faut qu’il soit intelligible aux étrangers, c’est-à-dire contrôlable — et dans quelles conditions il pourrait devenir seul nécessaire. Autrement dit, c’est tout le problème de la domination par le biais culturel et celui de la modernisation en arabe, langue nationale unique de la quasi-totalité de la population, qui est posé. L’exemple de l’Algérie montre ce qu’il advient d’une culture à partir du

moment où elle perd sa forme écrite supplantée par une autre ; il se produit alors une discontinuité culturelle intime et profonde dans le corps social qui consolide d’autres distances sinon des ruptures, entre les gens instruits à la mode nouvelle et ceux qui sont éduqués à l’ancienne, entre les hommes et les femmes, les enfants et les parents, les jeunes gens et les jeunes filles, les citadins et les paysans, les techniciens et les lettrés, l’élite et le peuple… Cependant, en Libye, l’occidentalisation du goût, des arts et de la littérature, du mode de vie et de la façon de penser ne va pas jusqu’à une dénaturation de la culture originelle ; la langue et la culture arabes, la discussion en arabe des problèmes spécifiques libyens, et la référence à l’Islam demeurent des éléments de fond dans le débat politique et idéologique. Malgré cela le discours officiel tente de freiner la désaffection dont sont l’objet certaines valeurs islamiques comme la spiritualité, la solidarité, la réserve des mœurs, le goût de l’effort et de l’étude, dans le bouleversement social qui se répand.

86L’on projette de réviser la législation pour y supprimer ce qui est contradictoire avec la loi musulmane.

87Archaïsme et modernisme des mentalités deviennent plus sensibles dans la coexistence ou la confrontation qui résulte de la migration incessante des gens de l’intérieur vers les lieux de travail et les villes [Bleuchot, Souriau, 8]. Ceci est accentué par le retour au pays de nombreux émigrés de naguère qui sont attirés par les nouvelles perspectives d’enrichissement et qui arrivent imprégnés d’habitudes égyptiennes, tunisiennes, libanaises ou tchadiennes. Le recrutement important de travailleurs étrangers, arabes ou non-arabes, y ajoute son

influence, surtout lorsqu’ils ont des fonctions de direction ou de conception. Beaucoup d’esprits libyens accueillent ces changements hétérogènes et parfois hétéroclites. Le goût de l’ouverture au monde extérieur se caractérise par exemple par la manie des voyages, qui n’est souvent qu’un besoin de fuir les contraintes d’une société ressentie désormais au niveau de sa vie domestique comme étouffante car elle a peu changé dans ses principes, même si les cadres de vie ont beaucoup varié. La discussion de thèmes sociaux représentant des valeurs typiquement occidentales comme la liberté de choix chez les jeunes, les droits de la femme, la famille conjugale, le bonheur individuel, la mixité dans la vie publique, l’utilité du sport et de la pédagogie, etc., sont des signes de modernisation au même titre que l’acquisition dès que possible d’une auto, de la télévision, des disques, de l’équipement ménager ou des vêtements dernier cri d’Italie, d’Angleterre ou des États-Unis. Cependant, il apparaît qu’il y a tromperie sur la qualification de la fourniture : car celle-ci dans l’ensemble n’est plus « moderne » à l’origine ; au contraire, elle est devenue « tradition du nouveau » en Occident, comme dit Apter. Et c’est donc la tradition de l’un — et les surplus de sa modernisation — qui sont offerts ou vendus comme cadres et contenu d’un modernisation possible de l’autre.

88Mais il y a plus grave que les différences de mentalités ou de mode de vie. La distribution très inégale des gains détermine une différenciation des niveaux de vie telle, qu’elle se perçoit maintenant facilement à des signes extérieurs. Les Libyens distinguent quels sont parmi eux les parvenus presque

milliardaires, ceux qui sont en voie d’enrichissement rapide et la foule des gagne-petit ou des miséreux démunis de tout, quel que soit le travail fourni.

89Connaissant parfaitement le gigantisme du budget de la nation, ce peuple, si peu nombreux et naguère solidement cimenté par la pauvreté, critique les excès qu’il constate et en vient à exprimer sa frustration, dans les villes, en termes d’injustice sociale et de revendications politiques et salariales au cours de manifestations et de grèves menées par les syndicats et les étudiants.

90Le gouvernement réagit en renforçant le pouvoir de l’État, à partir de 1963. De fédéré qu’il était et sous prétexte de mettre fin au régionalisme, il redevient unitaire et centralisé comme au temps des Ottomans et des Italiens. Les partis politiques sont abolis, les syndicats peu à peu muselés, les élections truquées. La police prend le pas sur l’armée.

91Livré aux conseils et aux compétences des experts, l’État est amené à mettre en œuvre des super-projets de modernisation en utilisant à son tour trois moyens connus : la planification, la législation, les mass media. Cependant les décisions sont prises plutôt en fonction des finances disponibles que des besoins concrets de la population.

92Des projets de fertilisation du désert, d’électrification, d’expansion des communications et des transmissions, d’urbanisme, de construction d’une nouvelle capitale administrative (Bayda), de cités sportives, de campus universitaires, de fermes modèles, d’opéra, etc., figurent sur des programmes pluriannuels dont la réalisation entamée ne pourra pourtant pas toujours aboutir, soit à cause du manque

de matériaux, de techniciens ou de manœuvres, soit à cause de malfaçons ou encore de la corruption des responsables ou des intermédiaires. Outre cela, les administrations et les bureaux d’études sont souvent dirigés par un personnel provisoire, qu’il soit étranger ou non, car la mobilité de l’emploi est excessive, entraînant des atermoiements répétés.

93Quant à la législation, elle se met à subir une enflure considérable de textes due à la nécessité d’harmoniser les lois existantes avec celles des pays occidentaux fournisseurs. Quand elle n’est pas immédiatement reprise au droit international ou au droit français, elle subit l’influence du droit égyptien qui est lui-même une émanation du droit français, archaïque ou récent. Seul le domaine du statut personnel reste tributaire du droit musulman et encore… Certaines de ses dispositions concernant le mariage et le divorce sont en cours de révision. Et celles qui concernent l’obligation de subvenir aux besoins des parents démunis ont tendance à ne plus être observées dans la société nouvelle. On voit aussi des associations féminines faire valoir les revendications des femmes [17] qui se jugent brimées, et des jeunes gens rester célibataires faute de pouvoir payer des dots astronomiques à des fiancées.

94A l’instar de ce qui s’est produit dans toutes les nations modernes, socialistes ou libérales, un transfert des responsabilités et des charges est en train de s’opérer, du chef de clan ou du père de famille à l’État. L’on voit en quelques années s’élaborer toute une législation de l’éducation nationale, du travail, des assurances sociales, de la protection de la famille et de la jeunesse qui n’a rien à envier aux pays les

plus nantis en ce domaine. Sont établis la gratuité des études, les pécules et les bourses, le salaire minimum garanti, la réglementation des congés, celle des tarifs horaires, des travaux supplémentaires, de l’embauche et du licenciement, les allocations familiales, les retraites, les soins gratuits, les prêts au logement et à la construction, le crédit agricole sans intérêts, etc. Ces droits sont peu à peu étendus au plus grand nombre sinon à la totalité des citoyens. La formation professionnelle est encouragée et les jeunes « cadres » libyens qui achèvent leur préparation sont immédiatement utilisés, toutefois pas toujours dans leur spécialité.

95Mais… les grandes sociétés tournent la législation du travail, mais il manque de locaux et d’instituteurs qualifiés pour scolariser tous les enfants, mais le coût de la vie ne cesse d’augmenter, mais les appartements ne conviennent pas aux habitudes familiales, mais les parents préfèrent marier les filles instruites que les voir travailler, mais l’instruction des filles sert de prétexte à enchérir les dots, mais il est plus rentable de spéculer que de travailler…

96Le rôle des mass media — surtout la presse et la radio — s’amplifie en même temps que le circuit de l’argent et tous les problèmes qu’il crée [71bis]. La sévérité du code de la presse prévient cependant tout excès de liberté de la part des journalistes. Un débat le plus souvent feutré confronte en arabe les opinions de la presse privée, obligatoirement « indépendante » depuis la suppression des partis, et les trois journaux officieux de Tripoli, Benghazi et Sabha. Le boom économique des années 67-69 et dans une moindre mesure l’aide des ambassades, favorisent l’éclosion d’un secteur de

presse libyen en langue anglaise et en italien. Une agence de presse libyenne est créée sous l’égide de l’Agence Reuter dont un représentant a été mandé en Libye dans ce but par l’U.N.E.S.C.O. La radio nationale étend ses programmes, ses heures d’écoute en anglais et la portée de ses émissions. Alors que jusqu’en 1966, seule la base militaire américaine de Tripoli disposait d’un réseau de télévision, à partir de cette date la télévision libyenne en couleurs installée par les Français commence ses émissions, avec des techniciens étrangers ou de formation étrangère et des programmes largement importés. D’où une certaine désadaptation de ces programmes à une population dont l’univers domestique n’avait jusque-là jamais été violé en temps de paix par des présences et des manifestations aussi insolites.

97Les contradictions et les mésaventures de la société libyenne trouvent un observateur perspicace et caustique dans le caricaturiste Zwâwî [137].

98Bref, en 1969, la mutation de la population libyenne vers la modernité est franchement amorcée. Mais l’invasion en force de ce mode de civilisation est trop nettement marquée par son origine extérieure pour que la tolérance à cet excès de nouveautés et de changements soit uniforme dans tous les domaines et tous les milieux sociaux. Il y a donc beaucoup de discontinuités dans les adaptations.

99Les gouvernements successifs investis de la mission de distribuer la manne du budget ont pris des décisions importantes pour lutter contre l’ignorance, la maladie et la misère [8]. En 1968 par exemple, les jeunes Libyens scolarisés sont déjà au nombre de 236 567 dans l’enseignement primaire

(avec 8 988 enseignants et 1 032 écoles) ; de 28 049 dans le degré préparatoire (avec 1 777 enseignants et 152 établissements) ; de 6 612 dans le secondaire (avec 570 enseignants et 27 établissements). Il y a 2 494 étudiants… Dans le domaine de la santé, l’on compte 618 praticiens dont 75 Libyens, et 5 542 lits dans 34 établissements… L’on s’apprête à fêter le 10° anniversaire de la sécurité sociale… Une pharmacie d’État a été créée… Des logements ont été construits dans le cadre du plan Idris. Mais il y a naturellement plus de projets que de réalisations et les difficultés sont accrues par l’extrême jeunesse de la population (53 % de moins de 20 ans ; 11,8 % de plus de 55 ans en 1964).

100Des tensions nouvelles ont fait leur apparition. Un malaise règne comme en témoignent l’instabilité de l’emploi, un début d’alcoolisme, l’insatisfaction de la jeunesse et les dépenses inconsidérées des adultes. Les Libyens sont maintenant profondément conscients de la contradiction que représente la coexistence d’une richesse nationale immense avec un peuple attardé à la traîne des autres. Ils se posent la question : au profit de qui tout cela ?

101Leur drame spécifique dans la course au développement moderne qui s’est engagée, c’est leur petit nombre : ils sont moins de deux millions de personnes dont un cinquième peut-être ont un travail rémunéré, les femmes demeurant destinées dans leur quasi-totalité à la vie domestique ou au travail bénévole.

102Les voici poussés dans la fuite en avant par une nouvelle logique : même s’ils deviennent tous des gestionnaires et des techniciens d’avant-garde, d’autres qu’eux, experts ou

coopérants, appelés nécessairement à la rescousse en raison de leur supériorité technique, seront sans doute décidés à maintenir leur avance, et gagneront à leur place, chez eux, la course engagée.

103D’où la revendication de l’automatisation, qui permettrait de se passer des hommes…

104Le brusque changement de régime, le 1er septembre 1969, se produit alors que la « génération de l’indépendance » a déjà atteint 18 ans, l’âge d’une majorité.

105La modernité n’est pas remise en cause par l’avènement des Officiers libres, le 1er septembre 1969, bien au contraire ; mais ce sont les conditions de dépendance dans lesquelles elle a été introduite en Libye qui sont dénoncées : elle n’a pu être l’œuvre du peuple libyen et de ce fait elle ne lui a pas profité en plein.

106Cette fois, ce n’est plus un « tahrîk as-sawâkin », une simple mise en mouvement, qui est souhaitée mais une « thawra », un élan révolutionnaire national qui dresserait tous les Libyens contre l’oppression d’un régime patriarcal, corrompu et lié par l’argent aux puissances occidentales dominatrices du monde arabe. Jeunes gens, étudiants, travailleurs, associations de femmes, soldats, journalistes… veulent un changement radical. Ils apportent leur accord à l’institution d’une république dynamique et moderne sans aliénation. Il leur plaît que leur image de marque devienne celle d’un jeune homme contemporain, à l’allure dégagée mais stricte et au discours enflammé de conviction idéologique et d’agressivité. Ils abandonnent volontiers la devise sanoûsîe typique des anciens régimes occidentaux :

Dieu, Roi, Patrie, pour la remplacer par celle des nassériens : Liberté, Socialisme, Unité, qui n’a plus rien de traditionnel.

107L’impulsion motrice de cette nouvelle phase est une réaction intime et violente de révolte, de refus, d’un rejet presque inconditionnel des contraintes endogènes et hétérogènes qui ont été supportées. Une suspicion fondamentale entache la finalité de la modernisation telle qu’elle a été vécue en Libye, où elle a abouti à l’inégalité sociale, à l’emprunt et à la consommation, à l’ambiguïté idéologique, à l’altération de la personnalité.

108Tout le monde n’est évidemment pas d’accord, en particulier ceux que l’on va juger et condamner parce qu’ils ont abusé du pouvoir afin de maintenir le rapport de forces existant et de s’enrichir inconsidérément.

109Ce rapport de forces, Mou‘ammar El-Qaddhâfî s’y attaque directement avec le Conseil de commandement de la révolution. Le défi qu’il lance au monde dominant, de l’Est et de l’Ouest, fait retentir hors des frontières le nom d’un Libyen et non plus seulement celui d’un produit, le pétrole, ou d’un moyen, l’argent… Cependant l’habitude vite contractée en Occident d’occulter les Libyens derrière leur président ne doit pas faire perdre de vue les réalités de leur évolution, même si ses analyses influencent leurs opinions et si ses décisions marquent le cours de leur vie.

110Le Colonel estime que le régime sanoûsî n’a pas fait sortir la Libye de quatre siècles de colonisation et que son pays doit avant tout s’assurer une liberté, c’est-à-dire une souveraineté complète. De fait, l’on assiste en peu de temps à la liquidation des bases militaires anglaises et américaines et à la

récupération des biens et intérêts locaux des anciens colons italiens. Ceux-ci et beaucoup de coopérants occidentaux dont les contrats sont suspendus pour révision, quittent le pays. Une politique de révision continuelle des accords pétroliers est élaborée.

111Pour se décoloniser elle-même, la société libyenne est exhortée à devenir pure et dure et à apprendre à se suffire à elle-même en se remettant à produire : d’une part, dans le domaine de l’idéologie et de l’effort quotidien, par l’exploitation de sa propre culture arabo-musulmane et l’épuration des conceptions intruses et, dans le domaine économique, par l’exploitation de ses propres ressources naturelles indépendamment du pétrole qui est sans avenir à long terme. « Nous ne sommes pas des sacs vides dans lesquels on fourre n’importe quoi » dit Qaddhâfî. S’assurer une prise réelle sur l’avenir par ses propres moyens ? Voici remise fortement en cause la fameuse répartition entre les domaines de la tradition (au monde arabe) et de la modernité (au monde occidental) ; d’autant plus que pour réaliser ces projets, on compte sur la solidarité arabe. Viennent alors en grand nombre en Libye, les coopérants égyptiens, tunisiens, syriens, palestiniens, etc., qui reprennent la tâche amorcée par les autres. Une ré-arabisation de la vie publique, du travail, de l’enseignement, de la concertation à tous les niveaux, donne de la vigueur au débat national, à la participation populaire et à la réflexion idéologique recentrée sur l’Islam. On veut enraciner ainsi l’effort des Libyens dans la perspective de leur culture de base afin que ce soient « le peuple », « les masses » (et plus seulement l’élite) qui arrivent à maîtriser les méthodes

et les moyens de leur évolution et à en aménager à leur profit réel les effets bénéfiques : progrès, croissance, bien-être, force. Il s’agit donc d’une renaissance et d’un véritable modernisme, et non pas, nous semble-t-il, d’un amalgame ou d’un compromis qui serait dû au pouvoir uniquement « traditionnalisant » du Coran.

112Tout un processus de contrôle et de révision passe au crible les institutions, les méthodes et les habitudes de travail d’exécution et de conception antérieures. C’est la qualité et la finalité de la législation, de la gestion, de l’administration, de la scolarité, de la formation professionnelle qui sont redéfinies en fonction de l’utilité publique et d’une société musulmane. Ce n’est plus le seul profit qui doit mouvoir les consciences mais l’engagement, la foi en Dieu et la confiance en soi, le militantisme, un socialisme autrement défini.

113Le pouvoir de l’État est renforcé dans la mesure même où les tutelles économico-politiques étrangères sont levées. Ceci sous la garantie d’une armée qui se modernise en rejetant au second plan les opérations de police. Plus de parlementarisme ; l’Union socialiste libyenne doit jouer le rôle d’un parti unique qui regroupe une représentation en quelque sorte corporative des ouvriers, des soldats, des enseignants, des ingénieurs, des petits propriétaires, des administrateurs, des femmes, etc. La nationalisation de grands secteurs de l’activité tertiaire comme les banques, les assurances, la pharmacie, les transports, la presse et le pétrole montre que le transfert à l’État des charges et des responsabilités du groupe social a progressé. La notion de l’État unitaire territorial est elle-même dépassée par son intégration théorique à une entité

beaucoup plus vaste : la nation arabo-islamique dans laquelle doivent fusionner et se conjuguer les forces complémentaires qui instaureront un équilibre économique, stratégique et culturel plus favorable dans la compétion planétaire actuelle.

114C’est alors que de nouvelles discontinuités apparaissent. Car après la mort de Nasser, l’assimilation des « houkkâm » (les hommes au pouvoir) aux peuples qu’ils gouvernent est contestée par Qaddhâfî, même dans les États arabes actuels, tout autant que la légitimité des décisions qu’ils prennent au sein des grandes assemblées internationales d’où est absente la consultation populaire. Ces conceptions rejettent naturellement la Libye dans un isolement politique.

115De même, la défiance idéologique témoignée par le Colonel à l’égard des artisans habituels de la modernisation (intellectuels, affairistes, journalistes, bons vivants, bureaucrates, femmes émancipées…) confine une partie de la population pourtant dotée de compétences dans une attitude plus ou moins attentiste. C’est pourquoi la proclamation de la révolution culturelle a pour but de relancer une mobilisation populaire qui tarde à se faire sentir et sans laquelle Qaddhâfî estime que rien ne peut être accompli.

116Or, il y a beaucoup de gens auxquels une amélioration de leur vie matérielle suffit. Et celle-ci s’est produite sans conteste. Le pays et ses habitants se transforment depuis 1971 au point de stupéfier les Libyens eux-mêmes, surtout dans les grandes villes et dans les régions de l’intérieur où a commencé la réalisation planifiée des grands projets de développement rural [77].

117Cette fois donc, la modernité touche bien la majeure partie de la population, bien que l’industrialisation soit à peine commencée. Mais elle charrie avec elle d’innombrables contradictions vécues dont voici des exemples.

118L’incompatibilité politique des méthodes de gouvernement libyenne, égyptienne et tunisienne entraînera sans doute une révision et peut-être une mise en sommeil de certains projets particulièrement audacieux et grandioses pour lesquels on dispose pourtant d’un budget suffisant : ainsi la planification reste-t-elle tributaire de l’événement.

119Du point de vue des mœurs, tandis que la censure puritaine s’appuie sur la religion pour proscrire totalement l’alcool, les jeux de hasard, les boîtes de nuit et la licence vestimentaire, d’un autre côté la tolérance coranique de la polygamie est invoquée pour justifier la multiplication des épouses que peut acquérir un seul homme vu l’accroissement du niveau de vie moyen.

120Chaque année et pour longtemps encore malgré les formations professionnelles déjà acquises, on assiste au chassé-croisé des Libyens qui s’en vont quérir le savoir et la qualification hors de chez eux tandis qu’arrivent des étrangers pour encadrer ceux qui restent. Le cas des médecins illustre un autre chassé-croisé : tandis que les Libyens soignent en ville, leurs compatriotes paysans sont soignés par des Chinois (de Formose), des Pakistanais, des Bulgares, des Français, etc.

121Le parti-pris de la modernité n’a donc résolu aucun problème de fond car le bien-être acquis, le travail accompli, la récupération du patrimoine culturel ou économique et même l’évolution progressiste des idées s’accommodent de bien des déséquilibres sociaux. Ils n’ont pas entamé cette volonté fondamentale de puissance et de domination des autres qui aujourd’hui s’attache partout à la modernité. Une course sans fin semble entreprise pour maintenir en toutes circonstances, grâce à elle, un rapport de forces et non une recherche d’équilibre. La Libye n’échappe pas à cette logique qui lui fait aujourd’hui investir au dehors des capitaux et distribuer des aides sur lesquels elle compte fonder plus tard l’expansion de sa force nouvelle.

122Il se pourrait ainsi que l’évolution de la modernité que nous avons esquissée à travers l’histoire libyenne fût un cycle complet.

12318-9-1974.

NOTES DE FIN * C.R.E.S.M., Aix-en-Provence.

AUTEUR

Christiane Souriau

© Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, 1975 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540