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INTERVIEW – Pour le ministre de la Défense, qui publie un essai vendredi, la France «n’est plus en temps de paix».
Dans Qui est l’ennemi? (éditions du Cerf), Jean-Yves Le Drian a réuni le fruit de ses réflexions sur les objectifs de notre défense.

LE FIGARO. – François Hollande et Manuel Valls ont dit aux Français que le pays est «en guerre». Ce terme est-il approprié, n’est-il pas excessif, sans nier la gravité de la menace?

Jean-Yves LE DRIAN. – La guerre peut revêtir de nombreuses formes. Au XIXe siècle, le stratège militaire Clausewitz parlait d’elle comme d’un caméléon, changeant d’apparence à chacune de ses apparitions. Si nous ne sommes pas en guerre, au sens des grands conflits du XXe siècle, nous ne sommes plus dans le temps de paix tel que nous l’avons connu à la fin des années 1990, lorsque les opérations extérieures se déroulaient loin de France, lorsque nous pouvions les tenir à distance. Aujourd’hui, quand des groupes terroristes, militarisés, au nom d’une lutte extrémiste globale, tuent des hommes et des femmes par dizaines sur notre propre sol, alors oui, je pense qu’il faut y voir une nouvelle forme de guerre. Ma conviction est qu’il est de notre devoir de prendre le fait guerrier au sérieux, sous peine d’être terrassé par lui.

Daech est-il en train de reculer? À quelle échéance pensez-vous que nous puissions le vaincre?

C’est un fait que Daech recule en Irak et dans une moindre mesure en Syrie. Mais il se développe aussi ailleurs, en particulier en Libye et ce, de manière préoccupante. Nous remporterons le combat que Daech nous a imposé. Daech perdra Mossoul et Raqqa, je n’ai pas de doute à ce sujet. Mais Daech reste, malgré tout, la matérialisation particulièrement néfaste et terrifiante d’une vision qui risque de lui survivre. Et il est difficile de lutter contre une vision, même si cela doit être aussi notre préoccupation première.

On parle beaucoup du continuum entre menace extérieure et sécurité intérieure. On parle moins du continuum nécessaire entre sécurité/stabilité et développement pour tarir les sources du terrorisme. Qu’en pensez-vous? La Défense a-t-elle son rôle à jouer, non seulement dans le domaine sécuritaire, pour «gagner la guerre», mais aussi sur le terrain de la stabilité et de la gouvernance, pour «gagner la paix»?

C’est aussi l’objet de ce livre. Devant Daech, nous ne devons pas craindre l’affrontement direct, auquel cet ennemi nous oblige, mais nous devons aussi voir à côté et au-delà. À côté, pour se rappeler que notre Défense a vocation à assurer notre protection face à un spectre plus large de situations: opérations de maintien de la paix, soutien aux populations dans le cas de catastrophes naturelles… Mais aussi au-delà de notre ennemi présent, parce que l’ennemi est comme la guerre, multiforme. Notre approche doit être globale. Le sous-développement ou les antagonismes politiques, la dictature comme en Syrie peuvent former le terreau qui facilitera l’éclosion de groupes terroristes et le développement de leur idéologie. Cela doit être appréhendé par l’ensemble des institutions chargées des valeurs et des intérêts français, parmi lesquelles je compte notre diplomatie. Lorsqu’une sortie de crise est consolidée par un processus politique bien négocié, lorsque les conditions d’un développement économique meilleur et plus juste sont établies, c’est aussi notre sécurité qui est assurée.

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