Cas spécifique, la Libye s’est distinguée par une « centralisation » conjoncturelle et approximative, s’accommodant de la survivance des entités tribales et de l’opposition des pôles économiques de Benghazi, en relation avec l’Egypte et de Tripoli, plus maghrébine. L’unité postindépendance toléra cet état de fait. L’unification par le régime kadhafien et sa surenchère panarabe puis africaine furent soutenues par l’apport pétrolier. L’actualité libyenne restitua la démarcation régionale et réaffirma les entités tribales. Suite à la disparition de « l’appareil d’Etat » kadhafien, l’Etat-nation jamahirien est de fait remis en cause. Les aléas des élections ont établis deux pouvoirs : le gouvernement de Tripoli, représentant le bloc politico-militaire Fajr Libya (Aube de la Libye) régnant à Tripoli, à l’Ouest, où les Frères musulmans exercent une influence dominante et le gouvernement du Chambre des représentants élus en 2014, connu sous le nom de « gouvernement de Tobrouk », basé à l’est du pays. Ce gouvernement peut compter sur la loyauté du général Khalifa Haftar. La démarcation géopolitique régionale et les jeux de rôles sur la scène arabe surévaluaient l’opposition entre les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk.

Suite à l’intervention de l’ONU, les négociations entre les protagonistes à Skhirat, Alger et Tunis, ont permis la formation du gouvernement d’union de Faez Sarraj. Mais il trouve des difficultés à prendre le relai des pouvoirs établis. La situation s’est aggravée par l’émergence de Daech. Elle a, d’ailleurs, pris le contrôle de Syrte, au cours du premier trimestre 2015. La bataille pour la reprise de la ville natale de Moammar Kadhafi a été engagée et gagnée, mais le péril terroriste subsiste. D’autre part, les forces impliquées dans cette bataille étaient pour la plupart de Misrata (Louis Imbert, « à Syrte, les derniers feux du califat », Le Monde, 31 août 2016). L’armée libyenne de l’Est dirigé par Khalifa Haftar, n’a pas participé à cette bataille. Fait évident, le gouvernement Sarraj n’a d’ailleurs qu’une emprise relative, depuis son installation en mars 2016. Les négociations entre les membres du dialogue politique libyen, dont est issu le gouvernement d’union nationale (GNA), n’ont pas permis de formuler un compromis. On ne parvint pas à conclure un accord.
Le nouveau statut du général Haftar : L’assaut surprise mené les 11 et 12 septembre 2016, par ses forces du général Haftar contre les terminaux pétroliers défie ouvertement le gouvernement de Sarraj et ses parrains occidentaux. Il consolide les positions du gouvernement de Tobrouk et établit un rééquilibrage des forces, en leur faveur, sur le terrain. A la recherche de plans, pour stabiliser une Libye en plein chaos, les USA et les puissances européennes appréhendaient le général Haftar  » comme un problème, jamais franchement comme une solution » (Frédéric Bobin, « Libye : le regard sur le général Haftar est en train de changer », Le Monde, 17 septembre 2016). Depuis que les forces de l’Armée nationale libyenne qu’il dirige ont enlevé, le Croissant pétrolier, la principale plate-forme d’exportation du brut libyen située en Cyrénaïque (Est), le regard est en train de changer sur le général Haftar. Il a, d’autre part, libéré, dans une large mesure, la région de Benghazi, des groupuscules terroristes. Le souci de l’intégrer dans la formation gouvernementale d’union, remettrait en cause l’ensemble du plan des Nations unies sur la Libye, issu d’un accord politique (signé fin 2015 à Skhirat au Maroc). La visite de Haftar en Russie et en Algérie semble annoncer un changement de la donne. Le général libyen Khalifa Haftar a effectué le 27 et 28 novembre 2016 une visite de 48 h à Moscou. Cette visite intervient quelques jours après que l’Egypte lui ait, elle aussi, officialisé son soutien. Le maréchal Haftar a rencontré le ministre russe de la Défense, Sergueï Shoïgou, et s’est entretenu, lundi 28 novembre, avec le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Il ne cache pas qu’il est venu chercher le soutien militaire de Moscou. Au mois d’octobre dernier, le journal russe Isvestia, citant une source diplomatique, révélait d’ailleurs que les Libyens demandaient aux Russes des armes et du matériel militaire y compris des avions. Cette visite été qualifié de « visite officielle ». C’est une première. Mais il était déjà allé à Moscou en juin 2016 ; il y avait rencontré le ministre de la Défense Serguei Shoigu, et le secrétaire du Conseil de sécurité nationale Nikolaï Patrouchev. D’autre part, le maréchal Haftar a effectué une visite à Alger le 16 décembre 2016. Peut-on parler d’un changement d’attitude d’Alger, qui avait une position très réservée sur lui ? Le blocage de l’accord d’entente nationale signé au Maroc il y a un an, la domination de Haftar des champs pétroliers et ses velléités d’occuper la Tripolitaine, auraient poussé Alger à réviser sa position le concernant. D’ailleurs, l’actualité semble annoncer que le général Haftar s’est imposé comme l’homme fort en Libye et qu’il y serait devenu incontournable, vu ses victoires militaires.
Vers un sommet Tunis, Alger, Le Caire : Les entretiens des présidents Béji Caïd Essebsi, et Abdelaziz Bouteflika (Alger, 15 décembre 2016) et l’échange des points de vue sur les questions bilatérales et les affaires maghrébines, permirent une concertation sur la situation en Libye. Ce fut vraisemblablement à l’issue de ces entretiens, que le président tunisien présenta son initiative d’un sommet des pays de voisinage libyen : Tunis, Alger, Le Caire, pour encourager toutes les parties libyennes au dialogue et d’envisager l’identification d’un consensus nécessaires, pour mettre fin à la crise. Alger et Tunis multiplièrent d’ailleurs, les contacts, avec les protagonistes : Dans ce contexte eut lieu la visite de travail, à Alger le 25 décembre du président du Conseil du gouvernement d’entente nationale de Libye, Faiz Serradj. Rappelons que l’arrivée de Faiz Serradj est intervenue quelques jours après la visite du maréchal Khalifa Haftar. D’autre part, le président du parlement Aguila Salah, établi à Tobrouk, s’est rendu à Tunis et a eu des entretiens avec le président Béji Caïd Essebsi, le 5 janvier. Le sommet des pays du voisinage fut donc mis à l’ordre du jour. A cet effet, « la coordination est en cours, notamment, avec l’Algérie et l’Egypte pour assurer la réussite de cette initiative et atteindre tous ses objectifs », indique un communiqué de la présidence de la République tunisienne. Cette mobilisation des pays du voisinage, affirmant la volonté libyenne, respectant sa souveraineté, faisant valoir la dynamique interne et rejetant les jeux rôles extérieurs, pourrait-elle assurer la réconciliation générale et reconstruire l’unité nationale ? Wait and see.

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