D’après une enquête très documentée d’Associated Press, l’Italie ne se contenterait pas de soutenir les gardes-côtes libyens pour qu’ils empêchent les départs de migrants. Elle se serait entendue, directement, avec des milices qui, jusque-là, pratiquaient le trafic d’êtres humains.

Comment expliquer que les importants flux migratoires entre les côtes libyennes et italiennes aient soudainement baissé cet été ? Le mois de juillet a vu deux fois moins d’arrivées que juillet 2016, quant au mois d’août, en date du 29, il atteignait 86 % d’arrivées en moins qu’août 2016.

Cette forte diminution, écrit Associated Press, peut s’expliquer par les conditions en mer et par le travail des gardes-côtes libyens qui, en vertu d’un accord avec l’Union européenne (UE), bloquent les départs de migrants, interceptent les bateaux, et reconduisent leurs passagers dans des centres de rétention en Libye.

« Mais elle s’explique aussi largement par des accords conclus avec les deux milices les plus puissantes de Sabratha [Al-Ammu et Brigade 48], ville côtière de l’ouest libyen d’où partent la plupart des migrants africains qui tentent la traversée vers l’Italie.
Liaisons dangereuses

L’enquête d’Associated Press, qui a beaucoup fait parler d’elle, avance en réalité deux informations. La première concerne le gouvernement de Faiez Serraj, installé à Tripoli (l’un des gouvernements qui se disputent la légitimité en Libye), auquel l’UE fournit formations, financement et matériel en échange des opérations de blocage des migrants effectuées par ses gardes-côtes.
D’après les nombreuses sources consultées par AP, ce gouvernement de Tripoli “a payé des milices qui, jusque-là, étaient impliquées dans le trafic de migrants pour qu’elles empêchent désormais les migrants de prendre la mer”.

L’accord entre Serraj et l’UE prévoit certes que les fonds puissent financer des “activités de réinsertion par l’emploi” à l’intention des trafiquants, indique l’article. “Mais cette mission ne va sans doute pas jusqu’à permettre de les engager dans la lutte contre les migrants.” Sans compter le risque, dans le contexte du chaos libyen, que ces milices, armées et financées, “reprennent à tout moment leur trafic ou se retournent contre le gouvernement”.

La deuxième information qu’apporte cette enquête est l’implication directe de l’Italie, sans l’entremise du gouvernement Serraj.

“Le rôle de l’Italie reste à éclaircir”, admet la reporter. La version officielle est que Rome n’a conclu aucun arrangement : “L’État italien ne négocie pas avec les trafiquants”, a déclaré le ministre italien des Affaires étrangères, Marco Minniti.

Mais plusieurs sources sur place ont soutenu le contraire. Parmi elles, “deux fonctionnaires de Sabratha, l’un responsable des services de sécurité, l’autre policier, ont pourtant eux affirmé que l’Italie s’était directement entendue avec les milices”. D’après le premier, ce sont les services secrets italiens, et pas des représentants du gouvernement, qui s’en sont chargés.

“Sous-traiter la gestion des migrants à la Libye revient à les mettre en danger”

Démentie par Rome, l’information est difficile à trouver dans les journaux italiens, à l’exception d’Il Manifesto, le quotidien communiste, qui en fait sa une. Sur une photo des Premiers ministres libyen et italien et du ministre de l’Intérieur italien, il titre : “Pacte criminel” et dénonce, dans son éditorial, “le style colonial” du ministre de l’Intérieur, dont la politique consiste à “transformer une bonne partie du continent africain en camp de concentration”.

“Sous-traiter la gestion des migrants à la Libye revient à les mettre en danger”, indique également AP, évoquant les institutions internationales et organisations de défense des droits de l’homme qui, ces dernières années, “ont fait état d’atrocités commises sur des migrants placés en détention dans ce pays, qui sont victimes d’actes de torture et d’abus sexuels, voire réduits en esclavage”.

 

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