lexandre Djouhri, au Parc des princes, à Paris, en avril 2014. Photo Henri Szwarc. Abaca

Arrêté dimanche à l’aéroport de Londres et placé en garde à vue, l’homme d’affaires est suspecté de «fraude» et «blanchiment d’argent».
Soupçons de financement libyen : Djouhri aux arrêts, Sarkozy aux aguets
Il paraissait narguer la justice française, paradant dans les hôtels de luxe en Algérie, Afrique du Sud, Russie ou au Royaume-Uni. Mais plus dans les palaces parisiens, depuis que son nom apparaît avec récurrence dans l’affaire portant sur le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Fini de rire : Alexandre Djouhri, le plus singulier des intermédiaires, a été arrêté dimanche à l’aéroport de Londres, puis placé en garde à vue. Sollicité par Libération lundi, son avocat n’a pas souhaité s’exprimer.

Microcosme
En dépit d’une perquisition à son domicile suisse (où il réside officiellement) en mars 2015, suivie d’un refus de répondre aux enquêteurs français, aucun mandat d’arrêt international n’avait été diffusé à son encontre. Ce n’est que tout récemment qu’un mandat européen a enfin été lancé. En décembre, Djouhri avait même réussi l’exploit de figurer sur la liste des invités de l’ambassade de France à Alger, lors de la visite présidentielle d’Emmanuel Macron… Les oreilles du secrétaire général du Quai d’Orsay, le très chiraquien Maurice Gourdault-Montagne, qui connaît personnellement le bonhomme, ont dû siffler. La provocation de trop : enquête express au sommet de l’Etat, qui sonne la fin de la récréation.

Djouhri était aisément repérable à Londres, où il effectuait depuis quelque temps de nombreux allers-retours, au vu et au su du microcosme affairiste. En particulier pour se rendre au chevet de Maixent Accrombessi, homme à tout faire du président gabonais Ali Bongo, parti se refaire une santé dans la capitale britannique après un AVC. Ancien gamin de banlieue parisienne tutoyant désormais les puissants, sachant aussi bien cajoler que menacer pour les besoins de son métier, Djouhri était aux petits soins pour celui qui est parfois présenté comme le gestionnaire d’une partie de la fortune offshore de la famille Bongo. «J’ai la clé du coffre», confiait Accrombessi au Monde en 2015. Un témoin affirme à Libération les avoir vus dans un restaurant parisien, en compagnie de deux anciens piliers de la sarkozie, Claude Guéant et Bernard Squarcini.

La justice française a donc décidé d’agir. En apéritif, Accrombessi a été mis en examen fin décembre à Paris, pour corruption, à propos d’une vieille commande d’uniformes destinés à la police gabonaise. Vient donc le plat principal, avec l’interpellation de Djouhri. Dans l’affaire libyenne, les juges d’instruction tournent autour de la revente, pour 10 millions d’euros en 2009, de sa villa sise à Mougins (Alpes-Maritimes), bâtisse inhabitée rachetée cinq fois sa valeur par un généreux investisseur immobilier : le fonds souverain du colonel Kadhafi, le Libya Africa Investment Portfolio (LAIP), alors dirigé par son grand argentier Bechir Saleh. Une transaction alibi pour un transfert de fonds ?

Obscur peintre
Une partie de l’argent, une fois recyclé via une coquille offshore immatriculée au Panama, aurait servi à rémunérer indirectement une prestation de conseil prodiguée par Dominique de Villepin. Lequel, dans une conversation téléphonique avec son grand copain Alexandre Djouhri, placé sur écoute, s’inquiétera rétrospectivement de «clarifier l’origine des fonds» – signe qu’il en ignorait manifestement l’origine. Mais rien, à ce stade de l’enquête, ne prouve formellement un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Un autre financement détourné serait passé par Claude Guéant, qu’Alexandre Djouhri a aussi fréquenté. Au printemps 2015, dans la foulée de la perquisition chez le businessman, l’homme a tout faire de Sarkozy est mis en examen pour blanchiment. En cause, la revente de deux croûtes flamandes d’un obscur peintre du XVIIe siècle. La encore, un généreux investisseur s’est dévoué pour les racheter 500 000 euros en 2008, alors que Sotheby’s les évaluait à dix fois moins. Son nom : Khaled Bugshan, homme d’affaires saoudien, partenaire d’Alexandre Djouhri au Moyen-Orient. Cet argent-là semble avoir suivi le même circuit financier que les fonds qui auraient été destinés à Villepin.

Désormais aux mains de la justice française, cet incroyable hâbleur va pouvoir donner le meilleur de lui-même. Après la perquisition de son domicile genevois, il ricanait publiquement : «C’est un coup d’épée dans l’eau. Il ne manquait plus qu’un porte-avions sur le lac Léman et des hélicos dans le ciel.»

«Secoués»
Depuis, les enquêteurs ont fait leur miel de ses écoutes, dont Mediapart a publié des extraits savoureux : «Il faut faire une moins-value pour être honnête ? Attends, mais… je te dis, c’est des secoués complets. Ils ont vraiment un grain !» Parole d’expert… Villepin tente de le consoler : «Plus on te tape dessus, plus c’est bon pour ton business avec des gens qui se disent : « Putain, celui-là, il est costaud ! »»

Toujours sur écoute, Alexandre Djouhri s’est aussi épanché, fin 2015, auprès d’Alain Marsaud, ancien magistrat alors devenu député (UMP) : «J’ai pas de problème avec la police, j’ai juste un problème avec la presse. Parole d’honneur.» Son interlocuteur lui signifie que son retour au bercail n’est pas forcément souhaité : «Va demander à Sarkozy s’il est pressé que tu rentres ! Il préfère que tu sois pas en France, que t’ailles pas voir le juge !» C’est désormais au programme.

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