Sarkozy reçoit Kadhafi le 10 décembre 2007 à l’Elysée.

 

L’ancien président a été mis en garde à vue ce mardi matin dans le cadre de l’enquête portant sur les soupçons de financement libyen lors de la campagne du candidat UMP de 2007.
Qu’est-ce que l’affaire libyenne dans laquelle Sarkozy a été placé en garde à vue ?
Depuis 2013, la justice enquête sur le possible versement d’argent de la part du régime libyen à la sphère Sarkozy en vue de la campagne présidentielle de 2007. C’est ainsi que l’on peut résumer le tentaculaire dossier des fonds libyens, révélée au départ par Mediapart. Ce mardi, l’ancien président est en garde à vue dans cette affaire.

Pour comprendre cette affaire, qui révèle les liaisons entre le dictateur Muammar al-Kadhafi et les sarkozystes, il faut s’intéresser à un homme clé : Ziad Takieddine. Déjà proche des réseaux balladuriens et chiraquiens, ce marchand d’armes franco-libanais aurait servi d’intermédiaire pour de nombreux contrats et opérations. A partir de 2005, l’homme d’affaires a progressivement tissé des liens avec le cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et les dirigeants libyens. S’ensuivent plusieurs rencontres entre les deux camps, au fil desquelles la Libye aurait décidé de financer la campagne de Nicolas Sarkozy.

Les valises libyennes
Après des années de silence, l’intermédiaire Takieddine a livré en novembre 2016 un témoignage capital face aux caméras, puis devant la police : il affirme avoir lui-même acheminé trois valises d’argent libyen jusqu’au ministère de l’Intérieur, où Claude Guéant réceptionnait la marchandise. Au total, 5 millions d’euros auraient ainsi transité entre novembre 2006 et janvier 2007. Ses aveux concordent avec les déclarations d’un autre acteur majeur : Abdallah Senoussi, chef des services secrets libyens et beau-frère de Kadhafi. Ce dernier a dit avoir «personnellement supervisé le transfert de cette somme» lors d’une audition par la Cour pénale internationale (CPI) en 2012, selon Mediapart. Une note publiée, datant du 10 décembre 2006, semble aussi confirmer un accord de principe donné par le régime libyen pour réserver 50 millions d’euros à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Fait troublant, le temps de la campagne présidentielle de 2007, Claude Guéant aurait eu une grande chambre forte à la BNP et s’y serait rendu en personne à de multiples reprises peu après la date supposée de livraison des valises de Takieddine. L’ancien secrétaire général de l’Elysée a démenti et prétend qu’il mettait simplement à l’abri les discours de Sarkozy.

Hauts et bas des relations franco libyennes
Fin 2007, la Libye et la France affichent le réchauffement de leurs relations diplomatiques : Kadhafi est reçu en grande pompe par le nouveau président Nicolas Sarkozy, et plante sa tente dans le parc de l’hôtel de Marigny à Paris. Trois mois après, Claude Guéant fait l’acquisition d’un appartement parisien, notamment grâce à une soudaine entrée d’argent de 500 000 euros. Guéant affirme qu’il a vendu des tableaux, tandis que les enquêteurs le soupçonnent d’avoir obtenu de l’argent libyen via un autre intermédiaire, Alexandre Djouhri.

Les juges s’interrogent également sur la vente suspecte en 2009 d’une villa située à Mougins (Alpes-Maritimes), pour environ 10 millions d’euros, à un fonds libyen géré par Bachir Saleh, ancien argentier du régime. Les enquêteurs soupçonnent l’homme d’affaires Alexandre Djouhri d’être le véritable propriétaire et vendeur de ce bien et de s’être entendu avec Saleh pour fixer un prix d’achat «très surévalué». La justice cherche à savoir si ces montages financiers ont servi à transférer en France des fonds libyens destinés à la campagne de Nicolas Sarkozy.

Début 2011, les relations franco-libyennes se gâtent soudainement. Alors que le régime libyen vient de réprimer une insurrection à Benghazi, Nicolas Sarkozy va soutenir le renversement du pouvoir en place, qui aboutit à la mort du colonel Kadhafi.

Comment a débuté l’affaire ?
C’est en juillet 2011 que deux journalistes de Mediapart, Fabrice Arfi et Karl Laske, révèlent l’affaire et publient une dizaine de documents confidentiels mettant en lumière les relations entre l’intermédiaire libyen Takieddine et Claude Guéant dès 2003. L’article «Sarkozy-Guéant : le grand soupçon libyen» parle même de «négociations secrètes de contrats». Plus en détail, le marchand d’armes Ziad Takieddine est soupçonné d’avoir décroché des contrats pour le compte du régime libyen grâce à l’appui du ministère français de l’intérieur (Claude Guéant étant le directeur de cabinet du ministre Sarkozy). Il aurait ensuite touché des commissions occultes en 2007, en pleine campagne électorale française. L’article se termine même avec une anecdote : Takieddine a été arrêté par la douane au Bourget le 5 mars 2011, alors qu’il revenait de Libye, en possession de 1,5 million d’euros.

Où en est l’affaire pour les principaux suspects ?
Le 7 mars 2015, Claude Guéant est mis en examen dans l’affaire des tableaux pour faux et usage de faux et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée. Ses biens immobiliers ont été saisis en 2017.

Alexandre Djouhri, est en détention provisoire en Angleterre depuis son arrestation en janvier 2017 à Londres, il est suspecté de «fraude» et «blanchiment d’argent». Il ne s’est pas présenté à une convocation de la justice française en 2016 et fait l’objet d’une demande d’extradition vers la France, qui sera examinée en juillet.

Ziad Takieddine a été mis en examen en septembre 2017 pour «complicité de diffamation» pour ses révélations, à la suite de plusieurs plaintes de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy pour diffamation. Mediapart est également poursuivi dans ces procédures. En matière de diffamation, les mises en examen sont quasi-automatiques.

La justice française souhaite interroger Bachir Saleh dans le cadre de cette affaire. Visé par un mandat d’arrêt international, il est actuellement en exil, et a été blessé par balles fin février 2017 en Afrique du Sud.

L’ancien chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, a été placé ce mardi en garde à vue. Brice Hortefeux, très proche de l’ex-président, ministre de l’Intérieur durant son quinquennat, est entendu en audition libre.

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