Khalifa Haftar, à Benghazi, le 7 mai 2018. Photo Abdullah Doma. AFP

 

L’autoproclamée «armée nationale libyenne» subit, depuis jeudi, une offensive menée par des groupes rivaux dans la région côtière du centre de la Libye. Deux sites pétroliers ont arrêté leur activité.

Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, s’était emparé du croissant pétrolier par un coup de force, en septembre 2016. Ses ennemis viennent de le surprendre en menant à leur tour un raid sur les ports et les terminaux les plus convoités de Libye, lors de la dernière journée du mois de ramadan, jeudi. Les affrontements ont notamment touché les villes de Ras Lanouf et de Sidra. La National Oil Corporation (NOC) a annoncé la fermeture de deux sites dont s’échappaient vendredi d’épaisses fumées noires, et l’évacuation de ses employés. La compagnie a aussi désigné l’assaillant : Ibrahim Jadhran.

L’homme avait disparu de la circulation depuis deux ans. Ex-chef du corps des gardes pétroliers, il appartient à la tribu des Magharba, «majoritaire dans le bassin pétrolier», précise Claudia Gazzini, analyste à l’International Crisis Group. «Mais aucun leader des Magharba n’a soutenu officiellement l’initiative de Jadhran. Déjà à l’époque où il contrôlait les terminaux, la tribu était divisée à son sujet.» Connu pour ses allégeances à géométrie variable, Jadhran avait été évincé par les troupes de l’autoproclamée «armée nationale libyenne» (ANL) du maréchal Haftar. Ce dernier avait rapidement rouvert les vannes d’exportation du brut que Jadhran maintenait fermées depuis deux ans. L’or noir du centre de la Libye est ainsi devenu l’un des (rares) traits d’union entre l’Ouest – la NOC qui commercialise le pétrole est installée à Tripoli, où siège le gouvernement d’union nationale – et l’Est – la région de la Cyrénaïque, qui abrite la Chambre des représentants, aux mains d’Haftar.

«Montrer que l’ANL est vulnérable»
Dans une vidéo de sept minutes diffusée jeudi, le revenant Jadhran, en treillis, a annoncé la création d’une «force de libération du croissant pétrolier». Elle serait composée d’une partie de ses anciens gardes, ainsi que de combattants hostiles à Haftar, dont vraisemblablement des membres des Brigades de défense de Benghazi chassés par l’ANL de la «capitale» de la Cyrénaïque l’an dernier. Le maréchal s’est fait beaucoup d’ennemis depuis qu’il a juré d’écraser les groupes islamistes en lançant son opération Karama («dignité») en 2014. La phase ultime de sa conquête de la région a été lancée le mois dernier : une seule cité, Derna, assiégée depuis deux ans, échappait à son contrôle. En quelques semaines, ses troupes ont rapidement progressé en direction du centre-ville. «Le timing de l’attaque sur le croissant pétrolier est très probablement lié à l’offensive sur Derna, explique Claudia Gazzini. Si Derna tombe, l’ANL devient la puissance incontestée de l’Est. Pour ses adversaires, il est nécessaire de casser cette image, de montrer que l’imposante ANL est en réalité assez faible, et vulnérable.»

Haftar a en effet dû retirer certains de ses bataillons de Derna pour les redéployer en urgence dans le croissant pétrolier. Ses forces commenceraient à fatiguer, d’autant qu’un troisième front, plus au sud (la ville de Sebha), réclame son attention. «Jadhran peut créer un chaos immédiat pour distraire Haftar de Derna, mais il n’a pas les moyens de rester en place, il ne peut pas tenir le croissant pétrolier très longtemps, nuance la chercheuse. Haftar dispose notamment d’une couverture aérienne qui lui confère un avantage stratégique.» En mars 2017, l’ANL avait déjà subi une attaque des Brigades de défense de Benghazi sur les terminaux pétroliers, avant d’en reprendre le contrôle au terme de onze jours de combat. L’Egypte et les Emirats arabes unis avaient fourni quasi ouvertement un appui aérien au maréchal. Plus discrètement, la France, à travers des éléments de la DGSE, a également travaillé aux côtés de l’ANL par le passé, au nom de la lutte antiterroriste.

Elections législatives et présidentielle
Invité à Paris par Emmanuel Macron le 29 mai, Khalifa Haftar s’est engagé, au côté d’autres acteurs majeurs de la crise libyenne, à organiser et respecter le résultat des élections législatives et présidentielle, prévues pour le 10 décembre. Deux semaines plus tard, l’incontrôlable officier libyen, qui refuse obstinément de reconnaître l’autorité du gouvernement d’unité nationale, manœuvre des soldats dans une bataille urbaine qui inquiète l’ONU (la Mission des Nations unies en Libye «s’alarme des accusations de sérieuses violations des droits humains à Derna, dont des exécutions sommaires […] qui pourraient, si prouvées, constituer des crimes de guerre») tout en tentant de repousser une attaque de milices dans le bassin pétrolier. Le scrutin promis à Paris n’est certainement plus sa priorité.

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