Rassemblement après une attaque à un checkpoint, à Zliten (à l’est de Tripoli). Photo Mahmud Turkia. AFP

 

Des combats meurtriers font rage depuis huit jours dans la banlieue sud de la capitale libyenne. Un nouvel accord de cessez-le-feu a été signé dans la soirée de mardi.

Tout Tripolitain sait reconnaître immédiatement le bruit des armes lourdes. Ces brusques éruptions de violence dans les rues de la capitale viennent, à intervalles irréguliers ces dernières années, rappeler l’impasse politico-militaire dans laquelle se débat la Libye. Depuis plus d’une semaine, la ville est à nouveau le théâtre d’affrontements féroces entre milices rivales, qui ont fait au moins 50 morts et 138 blessés, selon un bilan des autorités libyennes. A Tripoli, il n’y a pas d’arbitre pour faire cesser les hostilités – deux accords de cessez-le-feu ont tenu moins d’une demi-journée. Le dernier en date, signé mardi soir sous l’égide de l’ONU, sera-t-il aussi fragile? Le gouvernement d’union nationale dirigé par Faïez el-Serraj (reconnu par les Nations unies) ne dispose d’aucune force propre : depuis son installation, en mars 2016, il est entièrement dépendant des groupes armés pour assurer sa sécurité et faire appliquer ses décisions.

Un pacte avec le diable qui a fini par tourner à son désavantage, expliquaient les chercheurs Wolfram Lacher et Alaa al-Idrissi dans une étude parue en juin (1) : «Le degré de capture de l’Etat par les groupes armés de Tripoli est sans précédent, et les groupes de personnes profitant de la fraude et des détournements, tout en occupant des postes administratifs officiels, s’est réduit à un toute petit nombre d’individus, écrivent-ils. Les milices qui contrôlent Tripoli ne sont pas loyales au gouvernement, qui est entièrement à leur merci.» Ces milices sont au nombre de quatre : la Brigade des révolutionnaires de Tripoli, dirigée par Haitem Tajouri, la force Rada, d’Abderraouf Kara, Ghneiwa, d’Abdel Ghani al-Kikli, et la brigade Nawasi. Elles constituent un redoutable «cartel» militaro-criminel, selon les chercheurs, à la fois craint pour ses méthodes expéditives et apprécié pour ses actions de police et de sécurisation au quotidien.

Cette mainmise des groupes armés de Tripoli irrite des cités rivales, notamment les puissantes villes «révolutionnaires» de Zintan et Misrata, qui tour à tour contrôlèrent des pans entiers de la capitale après la chute de Kadhafi avant d’en être expulsées. Cette fois-ci, l’assaut semble avoir été donné le 27 août par la Septième brigade, qui affirme mener une «opération de libération» afin de «nettoyer Tripoli des milices corrompues qui utilisent leur influence pour obtenir des crédits bancaires valant des millions de dollars quand les gens ordinaires dorment devant les banques pour retirer quelques dinars».

Installée à une cinquantaine de kilomètres au sud de la capitale, dans la ville de Tarhouna, la Septième brigade tente de progresser vers le nord en direction de l’aéroport international – dont la réouverture est présentée comme imminente, quatre ans après sa destruction. «Tarhouna est la seule ville de l’Ouest libyen à être contrôlée par un seul groupe armé. La Septième brigade, qui est plus communément appelée la « Kaniyat » en référence aux trois frères de la famille Al-Kani qui la dirigent, était quasiment inconnue avant 2015, décrivent Lacher et Al-Ifrissi. Depuis la mi-2017, la Kaniyat s’est agressivement étendue vers la banlieue de Tripoli. Elle va certainement revendiquer sa part du deal sécuritaire autour de l’aéroport. La Septième brigade comprend beaucoup de combattants qui ont été évincés de la capitale par le cartel – des miliciens qui veulent prendre leur revanche.»

400 prisonniers échappés
Depuis le début de l’affrontement, chacun des deux camps a réussi à agréger des alliés, décuplant l’ampleur des combats. Plus de 1 800 familles ont fui les violences, selon le gouvernement d’union nationale, tandis que 400 prisonniers se sont échappés d’une prison à la faveur du chaos. «Ces tentatives d’affaiblir les autorités légitimes libyennes et d’entraver le processus politique sont inacceptables», ont indiqué Washington, Londres, Rome et Paris dans un communiqué commun, publié samedi. Les quatre pays «exhortent tous les groupes armés à cesser immédiatement toute action militaire».

Mais le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, a fait voler en éclat cette unanimité, mardi matin, en pointant du doigt la France sans la nommer : «Evidemment il y a quelqu’un derrière. Cela n’arrive pas par hasard. Ma crainte, c’est que quelqu’un, pour des motifs économiques nationaux, mette en péril la stabilité de toute l’Afrique du Nord et par conséquent de l’Europe, a déclaré le sulfureux ministre. Je pense à quelqu’un qui est allé faire la guerre alors qu’il ne devait pas la faire. A quelqu’un qui fixe des dates pour les élections sans prévenir les alliés, l’ONU et les Libyens.» Le Quai d’Orsay, qui pousse à l’organisation d’élections d’ici à la fin de l’année en Libye, s’est défendu publiquement : «Les efforts de la France ne sont dirigés contre personne, et certainement pas contre l’Italie, dont nous soutenons l’initiative d’organiser une nouvelle conférence sur ce dossier important pour les deux pays.» La perspective d’une élection, en revanche, semble une nouvelle fois s’éloigner.

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