VIDÉO. Arte diffuse, mardi soir, un documentaire sur le viol utilisé comme arme de guerre en Libye. Une enquête implacable sur un crime aussi violent que tabou. Par Louis Chahuneau

Quand les lumières se sont rallumées dans la salle de projection de l’Institut du monde arabe, à Paris, le public s’est levé pour saluer le film. En ce début du mois d’octobre, les spectateurs ont assisté à l’avant-première du documentaire Libye, anatomie d’un crime, réalisé par la journaliste Cécile Allegra (Prix Albert Londres en 2015), et diffusé mardi 23 octobre à 22 h 45 sur Arte. Le film, qui a nécessité plus de deux ans de travail, suit la juriste internationale Céline Bardet dans son enquête sur les victimes de viol de guerre entre la Libye et la Tunisie, où des milliers de Libyens se sont réfugiés ces dernières années.

Depuis la révolution contre le colonel Kadhafi, débutée en février 2011, une partie de la population a été victime de cette torture sexuelle, érigée en stratégie guerrière, comme elle le fut en Bosnie dans les années 90 où l’on a dénombré entre 20 000 et 50 000 victimes selon les sources. Le viol pour dominer, humilier. Le viol est le crime parfait puisqu’il ne laisse pas de trace évidente sur les victimes, qui le plus souvent se murent dans le silence.

Mais, en Libye, le viol n’a pas concerné que des femmes. Il a aussi touché les hommes : « En Libye, les hommes sont ciblés, car ce sont eux qui dirigent le pays et les tribus. Le viol a une fonction castratrice, il leur a enlevé tout pouvoir », explique Céline Bardet. Pour la première fois dans un documentaire, certains d’entre eux témoignent des exactions que leur ont fait subir militaires kadhafistes puis rebelles.

Un sujet invisible
Dans un pays ravagé par les combats entre les milices et les islamistes, sans gouvernement ni système judiciaire stable depuis des années, les victimes de viol de guerre sont laissées à l’abandon. La Cour pénale internationale, créée en 1998 pour punir ce type d’exactions, réclame des preuves. C’est justement le travail de Céline Bardet, que la réalisatrice suit tout au long du film. Depuis des années, cette Française, rodée aux institutions internationales (ONU, Tribunal pénal international), apporte son expertise aux Libyens qui espèrent un jour obtenir justice.

Le film suit aussi le combat de Ramadan, un procureur de Benghazi qui a fui la ville, d’Imed, un activiste de la communauté de Tawergha (anciens esclaves noirs) qui ne dort jamais deux nuits au même endroit de peur d’être assassiné. Et puis il y a Hosni Lahmar, l’un des rares médecins tunisiens qui acceptent d’ausculter les hommes victimes de viol de guerre, sans les juger.

Libye, anatomie d’un crime a déjà remporté le prix du meilleur documentaire au Festival du film et Forum international sur les droits humains (FIFDH). « Ce film permet de mettre la lumière sur un sujet invisible, raconte Céline Bardet, et surtout d’accompagner un travail d’enquête qu’on mène en parallèle avec mon ONG, WWOW » (« We Are Not Weapons of War », « nous ne sommes pas des armes de guerre »). Selon la juriste, « le film devient un outil de plaidoyer et va permettre d’ouvrir la parole à d’autres victimes ». Elle commence déjà à recevoir des messages de réfugiés souhaitant prendre contact avec elle.

 

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