1960, Khalifa Haftar aux côtés de Kadhafi.

 

Huit ans après la mort du colonel Kadhafi, une tempête venue du désert chasse vers Tripoli les cendres encore chaudes d’un combat qui semble ne s’être jamais arrêté Khalifa Haftar, un ancien chef de guerre du défunt guide libyen, qui contrôle la plus grande partie du pays, marche sur la capitale « pour la reprendre aux milices », mais aussi aux autorités en place reconnues par la communauté internationale. Encore une fois,
la Libye danse au son des chars et des fusils d’assaut. Pour beaucoup, cette musique macabre ne fait que précéder l’intronisation d’un nouveau guide libyen.
278. C’est, selon le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le nombre de morts causées par la crise qui secoue, depuis 3 semaines, la Libye. Depuis le 4 avril, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’autoproclamée armée nationale libyenne (ANL), et ses forces, marchent sur Tripoli. Au sein de la capitale, Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale, avait prévenu que la démarche du maréchal conduirait à une escalade de la violence. Une menace ignorée par Khalifa Haftar, qui a affirmé répondre « à l’appel de Tripoli ».

Khalifa Haftar a affirmé répondre « à l’appel de Tripoli »
Pourtant, 3 semaines après le début de son offensive, la ville lui résiste toujours. Lorsqu’on apprend que Khalifa Haftar a reçu le soutien des États-Unis et de de la Russie, on se demande pour combien de temps.
Avec sa nouvelle stature internationale et les allégeances acquises au plan interne, le maréchal
semble sur le point de devenir le nouveau guide libyen.
Un familier des sentiers de la guerre « Pour les héros de la nation, l’heure a sonné ». A l’heure d’annoncer son intention de marcher sur Tripoli, Khalifa Haftar ne donne aucunement l’impression d’être perturbé. On
l’imagine calme au moment de lancer la quête de son armée. Avant de lancer son ost, le maréchal prononcera un discours loin d’être habituel pour un chef de guerre.
« Soyez des défenseurs des droits et non des envahisseurs. » « Nous avons rendez-vous pour la conquête de Tripoli. Avancez alors, avec des pas confiants en Dieu, entrez dans la ville en paix, pour ceux qui veulent la paix. Soyez des défenseurs des droits et non des envahisseurs. Ne levez pas vos armes, sauf contre celui qui choisit de vous affronter. Ne tirez que contre les hommes armés. Ceux qui jettent les armes, ceux qui restent chez eux, ceux qui lèvent le drapeau blanc, seront en sécurité. Assurer la sécurité des
habitants et protéger leurs biens, ainsi que toutes les institutions de la capitale, relèvent de votre devoir ». « Ne levez pas vos armes, sauf contre celui qui choisit de vous affronter. Ne tirez que contre les hommes armés. Ceux qui jettent les armes, ceux qui restent chez eux, ceux qui lèvent le drapeau blanc, seront en sécurité».
Khalifa Haftar veut clairement remporter la bataille de la communication face à ses adversaires du gouvernement d’union nationale. Cet habitué de la guerre, qui a acquis une énorme notoriété locale en défaisant des milices dans l’Est et au Sud de la Libye, le sait. Cette fois, il ne s’agit plus seulement de gagner une passe d’armes, mais aussi de démontrer une certaine légitimité. Présent dans le pays depuis plusieurs années, Khalifa Haftar a vu plusieurs hommes échouer à cette étape, cruciale pour s’assurer une légitimité. Il a notamment œuvré à la chute de Mouammar Kadhafi, son ancien allier tombé en disgrâce auprès du peuple. La Libye, peu de personnes la connaissent aussi bien que Khalifa Hafta, qui a joué un rôle actif lors de nombreux épisodes mouvementés de son histoire. Témoin actif des épisodes de l’histoire belliqueuse de la Libye Khakifa Haftar, né le 7 novembre 1943, grandit au sein de la tribu des Ferjany, dont le fief est la ville de Syrte, où est également né un certain Mouammar Kadhafi. Les deux hommes se rencontreront pour la première fois en 1963, lorsque Khalifa Haftar, âgé de 20 ans, entre à l’académie militaire royale de Benghazi. Acquis à sa cause, il participe avec lui et d’autres
camarades au coup d’État du 1er septembre 1969 qui mettra fin au régime du roi Idris Ier.

Pourtant, Khalifa Haftar ne restera pas longtemps aux côtés de l’emblématique guide libyen. De son propre aveu, il commence à prendre ses distances, peu de temps après le coup d’État, lorsqu’il remarque l’autoritarisme naissant de Mouammar Kadhafi. En 1973, ce dernier l’envoie négocier avec le président égyptien Anouar el-Sadate, la participation libyenne à la guerre du Kippour, contre Israël. Lors de ce conflit, Khalifa Haftar commande une unité de chars qui franchit la ligne Bar-Lev, chaîne de fortifications construite par l’État hébreu le long du canal de Suez. Il sera décoré pour sa participation aux combats. Tour à tour, en 1978, puis en 1983, il est envoyé en Russie pour être formé dans de prestigieuses écoles de l’état-major soviétique. Plus tard, il participe aux opérations visant à maintenir la présence de la Libye sur la bande d’Aouzou, à la frontière avec le Tchad. Battu et capturé, Khalifa Haftar est désavoué par Mouammar Khadafi. Il décide alors de se retourner contre le guide libyen. Lorsque lui et les autres prisonniers sont libérés, dans les années 80, il crée la «Force Haftar», basée au Tchad.
Soutenu par Hissène Habré, le groupe finit par quitter le Tchad lorsque le pouvoir passe aux mains Idriss Déby qui subit d’importantes pressions du guide libyen pour livrer Khalifa Haftar et ses hommes.
Alors que ses hommes sont exfiltrés vers le Nigeria et le Zaïre (actuelle RDC), l’ancien chef de guerre rallie les États-Unis et profite d’un programme destiné aux réfugiés, mais également offert aux anciens soldats, pour être formé dans divers domaines.
Alors que ses hommes sont exfiltrés vers le Nigeria et le Zaïre, l’ancien chef de guerre rallie les États-Unis et profite d’un programme destiné aux réfugiés, mais également offert aux anciens soldats, pour être formé dans divers domaines.
En 1995, il publie un document intitulé « Le changement en Libye, une vision politique du
changement par la force ». Il redevient alors très actif dans sa lutte contre Mouammar Kadhafi. En 2011, il retourne en Libye pour soutenir l’insurrection du « printemps arabe ». Il fait partie des meneurs de l’armée rebelle et participe à de nombreuses batailles. Il est plutôt bien accueilli par les populations, mais c’est en 2014 qu’il commence par acquérir le statut qu’on lui connait aujourd’hui.

Les forces en présence
En juin 2014, les Libyens sont invités aux urnes pour choisir une nouvelle Assemblée nationale, la chambre des représentants, censée remplacer l’ancien Congrès général national (CGN). Les résultats de ces élections, marqués par les faibles résultats des partis islamistes,
déclenchent des heurts dans le pays. Les partis islamistes refusent de reconnaître les résultats
et réinstallent le CGN au sein duquel ils sont  . La chambre des représentants fuit alors vers l’est du pays, à Tobrouk, où elle s’installe, loin de Tripoli et la zone d’influence du CGN.Coupée en deux, la Libye est alors soumise à un pouvoir bipolaire dont les deux camps
s’autoproclament gouvernements et se livrent une guerre sans merci. Les Nations Unies décident alors, pour lutter contre l’organisation Etat islamique qui profite du chaos pour s’installer, de partager le pouvoir entre les deux camps. L’ONU accompagne la signature des accords de Skhirat prévoyant que le CGN et la chambre des représentants acceptent l’autorité d’un gouvernement d’union nationale où les deux entités sont représentées. Le CGN devient le haut conseil d’État et la chambre des représentants devient le parlement d u pays. Fayez al-Sarraj, premier ministre et chef du gouvernement d’union nationale, est accepté par le CGN qui lui permet de s’installer à Tripoli et lui offre son soutien.

De victoires en victoires
Mais du côté de Tobrouk et de la chambre des représentants, on revient sur les accords de Skhirat. L’assemblée sous l’influence de Khalifa Haftar, refuse d’accepter le premier ministre. Il faut dire que l’ancien combattant de Mouammar Kadhafi a pris une autre dimension dans l’Est du pays. A la tête de sa propre armée, l’ANL, il a gagné le respect des populations en
battant les milices qui semaient l’effroi à Benghazi en 2013.
Il a gagné le respect des populations. Quelques mois plus tard, il prend le contrôle du croissant pétrolier, cœur de la production pétrolière et par ricochet de l’économie du pays. Il unifie une partie de l’armée et des tribus contre les islamistes d’Al-Qaida.
Quelques mois plus tard, il prend le contrôle du croissant pétrolier, cœur de la production pétrolière et par ricochet de l’économie du pays. Il unifie une partie de l’armée et des tribus contre les islamistes d’Al-Qaida.
En septembre 2016, Khalifa Haftar est promu maréchal par le parlement de Tobrouk. L’année suivante, il annonce son intention de collaborer avec la Russie et les États-Unis pour lutter contre le terrorisme. Malgré une tentative d’accord avec le pouvoir de Tripoli, les deux camps se regardent toujours en chien de faïence. Seulement, à cette époque, à force de combattre les
différentes milices de l’Est de la Libye, Khalifa Haftar contrôle une grande partie du pays. Il commence alors à devenir un personnage central de la scène politique.
Il a unifié une partie de l’armée et des tribus contre les islamistes d’Al-Qaida.
D’abord ignoré ou évité par les chancelleries, Khalifa Haftar gagne de plus en plus de soutiens à l’international. En plus de la Russie qui le soutient, le président américain « discute avec lui d’une vision
commune de la Libye ». Puis il gagne le soutien des Émirats Arabes Unis et de l’Égypte, dont le président a plaidé sa cause auprès de pays membres de l’Union africaine. C’est fort de ces soutiens que celui que certains annoncent comme le « nouveau Kadhafi » a attaqué Tripoli et les forces du gouvernement d’union nationale.
Jusque-là, la capitale résiste et a même réussi à repousser les hommes de Khalifa Haftar qui avaient réussi à bloquer l’aéroport de Mitiga, le seul fonctionnel dans la ville.

Pour le moment, Tripoli résiste à Khalifa Haftar, mais jusqu’à quand ?
Servan Ahougnon

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